La Turquie, au siècle dernier, était «l'homme malade de l'Europe». L'empire ottoman en est mort. Aujourd'hui, c'est l'Europe qui semble malade de la Turquie, et bien mal en point. A la veille de la date fixée pour engager avec Ankara des négociations d'adhésion promises, les Européens sont divisés, au point de ne même pas être d'accord sur l'objet des discussions qu'ils auront avec les Turcs. Les gouvernements sont divisés. Mais la division oppose aussi des gouvernants plutôt favorables à bâtir un pont symbolique sur le Bosphore, à des peuples majoritairement turcophobes. La fracture passe au sein même des partis politiques, en France en particulier, où Chirac veut laisser la porte ouverte à l'adhésion turque quand Sarkozy s'y oppose. Dans la foire d'empoigne électorale, en France comme en Allemagne, les Turcs sont redevenus ces têtes proverbiales sur lesquelles le peuple se défoulait en leur flanquant un grand coup de marteau sur le turban. Les Turcs, il est vrai, sont tout aussi divisés. Les europhiles voient en l'adhésion à l'Union la voie ouverte à la modernisation et à la démocratisation de leur pays, une promesse de prospérité. Mais les nationalistes, de droite et de gauche, cultivent l'europhobie, outrés que l'Union prétende exiger d'eux qu'ils changent pour pouvoir aspirer à l'adhésion, et sur des questions aussi symboliques que la reconnaissance du génocide arménien, le traitement de la minorité kurde ou, surtout, la reconnaissance de Chypre. Ces europhobes turcs voient leur cote grimper de concert avec celle des turcophobes européens.