Déception n L'«euroscepticisme» monte dans une opinion lasse des rebuffades de l'UE. Etudiant à la prestigieuse université Bilkent d'Ankara, Orhan, comme beaucoup de ses condisciples, ne croit plus vraiment à l'Union européenne. «C'est comme une femme qu'on a courtisée pendant des années et des années pour finalement réaliser qu'elle s'est bien défraîchie entre-temps», plaisante cet apprenti manager. Les ultimes rebuffades des Vingt-Cinq exaspèrent une opinion déjà lasse de quarante ans de route cahoteuse vers l'UE. Certes, tous les pays candidats ont connu ce phénomène d'érosion. Mais en Turquie, cet euroscepticisme croissant se nourrit du sentiment d'être injustement victime d'une politique de deux poids, deux mesures imposée par les Etats membres, inquiets de l'adhésion d'un pays de 71 millions d'habitants à 99% musulmans. La montée d'adrénaline est d'autant plus palpable que le bras de fer entre Ankara et l'UE porte sur des sujets symboliquement forts. En premier lieu, la question chypriote, considérée «cause nationale» par une grande majorité de la population. Mais aussi la mention explicite, comme l'exige l'Autriche, de la possibilité d'offrir à la Turquie un «partenariat privilégié» en lieu et place d'une adhésion pleine et entière. «Proposition immorale !» a grondé le ministre des Affaires étrangères, Abdullah Gül, à l'unisson d'une opinion publique qui se sent insultée dans son orgueil national. «On veut pousser notre patience à bout et certains cercles européens voudraient que nous claquions la porte», affirme Bülent Arinc, le président du Parlement turc. Une guerre des nerfs se mène à coups de petites phrases. Le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan a fait de l'intégration européenne «la première de ses priorités», mais il durcit de plus en plus le ton. «Nous sommes conscients que les négociations seront longues et semées d'embûches, mais toute autre option qu'une adhésion à part entière est absolument inacceptable», a répété Namik Tan, porte-parole du ministère des Affaires étrangères. «Il n'y a pas de plan B pour le gouvernement, c'est l'adhésion ou la mort», explique Hüseyin Bagci, professeur de relations internationales, qui estime que même sous la pression d'une opinion publique de plus en plus irritée, le Premier ministre ne peut prendre le risque de rater ce moment historique sur lequel il a fondé toute sa stratégie. L'économie, notamment la Bourse et l'immobilier, est dopée par la perspective des négociations d'adhésion, soutenues par les principales associations d'entrepreneurs et les grands groupes de presse. Le gouvernement n'en risque pas moins de se trouver dans une situation délicate. «Les réformes ont pu être imposées grâce à la perspective d'une adhésion future, mais cela deviendra plus difficile si les gens doutent de l'issue finale», s'inquiète un diplomate turc, partisan convaincu de l'adhésion. La principale force d'opposition, le CHP (Parti républicain du peuple), critique toujours plus durement «les concessions excessives» des islamistes modérés au pouvoir. Ces thèses trouvent un écho croissant dans une opinion très sensible aux thèmes nationalistes. Selon plusieurs enquêtes, 60 à 65% des personnes interrogées se disent convaincues que les Européens veulent «diviser la Turquie» et «l'affaiblir».