Aéroport de Bangkok, le 15 juin 1972. Parmi tous les appareils immobiles sous le soleil, un Convair 880 bleu et blanc qu'un camion-citerne gorge de kérosène. C'est un Jet de la compagnie Cathay Pacific Airways dont le siège est à Hong Kong. Les techniciens en blouse blanche, chargés des vérifications, ne remarquent rien d'anormal. L'équipe de nettoyage descend de la passerelle. Un employé de la compagnie renouvelle le stock de boissons. Tout est «O.K.». Le camion de kérosène s'éloigne. Les hôtesses pimpantes grimpent sur la passerelle brûlante. Le commandant de bord jette un regard sur le poste de pilotage. Le steward glisse le menu dans la pochette au dos des sièges. Tout cela n'est que routine, pour le personnel de l'aéroport de Bangkok. Les passagers du vol de Hong Kong de la Cathay Pacific Airways se pressent au comptoir d'enregistrement. C'est un vol moyen pour la compagnie puisque les passagers ne sont que quatre-vingt et un. Parmi eux, une jeune femme d'une vingtaine d'années tenant par la main une fillette de sept ans dont le petit crâne émerge des froufrous d'une magnifique poupée. Toutes deux sont thaïlandaises. La jeune femme s?appelle Somwang. Elle est très jolie : brune bien sûr, avec d?immenses yeux en amande, brillants dans son visage aux pommettes assez saillantes et à la peau hâlée. Bien que d?épaisses lunettes lui donnent un petit air intellectuel, c?est une fille de la campagne. Quant à la gamine, serrant sa poupée, elle est vêtue de la traditionnelle jupe bleue plissée retenue par deux bretelles croisées sur la chemisette blanche des écolières. Elle ne renierait pas non plus ses origines. Deux longues couettes noires pendent sur ses épaules. Ses yeux bridés observent gravement ce qui l?entoure, à commencer par son père, car le jeune lieutenant de police en uniforme qui les accompagne, c?est son père. Le lieutenant Somchai, trente ans, un peu froid, un peu distant, pose deux lourds bagages sur la bascule du comptoir d?enregistrement et tend deux billets à l?employée. Celle-ci, après y avoir jeté un coup d??il, observe le lieutenant : «Vous ne partez pas, monsieur ?» ? Non. ? L'enfant est votre fille ? ? Oui. ? Excusez-moi, dit l?employée. Mais elle vous ressemble tellement. Et Madame ? L'employée désigne maintenant la jolie Somwang. ? Madame conduit ma fille auprès de sa mère, à Hong Kong. Est-ce que vous pourriez placer la petite près d?un hublot ? ? Euh, oui, c?est possible. ? Vers le dixième rang ? ? Oui, mais elle sera presque sur l'aile. ? Je sais, mais c?est la place qu'elle préfère. Bien, comme vous voudrez. Clac ! font les élastiques avec lesquels l?employée fixe une étiquette sur les bagages. Un tapis roulant les emporte déjà vers les soutes du Convair de la Cathay Pacific Airways. Le lieutenant Somchai, souriant bien qu'un peu pâle, tend alors à la jeune femme qui accompagne sa fille un nécessaire de toilette en cuir : «Surtout n'oubliez pas de le donner à sa mère.» La belle Somwang, malgré elle, ne peut retenir un sourire gêné. Depuis un mois, elle est la maîtresse du lieutenant Somchai, qui a promis de l?épouser. Mais, pour le moment, il a été décidé que, devant sa fille, ils se vouvoieraient. ? Non, lieutenant, dit-elle. Je ne l'oublierai pas. Puis elle remarque : ? Tiens, elle est fermée ! Vous avez la clef ? ? Non. Sa mère a oublié cette valise lors de son dernier séjour à Bangkok, c'est elle qui a la clef. Tranquillement tous trois se dirigent vers la salle d'attente, passent devant les douaniers distraits que le lieutenant salue avec un rien de condescendance. Il faut dire que le lieutenant Somchai est affecté depuis six mois à la police de l?aéroport. (à suivre...)