Résumé de la 2e partie Somchaï, récemment muté à l?aéroport, s?occupe des formalités. Dans la salle d?attente, il regarde sa petite fille ? qu?il n?aime pas ? tout excitée. Elle se prépare à son dernier voyage. Les hommes d'affaires de Hong Kong, les riches Vietnamiens du Sud qui fuient la guerre, une grosse Chinoise poussant devant elle sa progéniture en rang d?oignons, les technocrates de New York, les touristes en jeans, les ingénieurs allemands en chemise bariolée, d?un seul mouvement, se lèvent. Un peu affolée dans cette cohue, la fillette saisit la main de son père : «Tu viens, papa ? ? Non. C'est maintenant qu'on se sépare. ? Pas encore, je t?en prie. ? Bon. Parce que je suis policier, je vais pouvoir t'accompagner jusqu'à la passerelle. Mais je ne pourrai pas monter dans l?avion.» Le ciment du taxiway doit être brûlant sous le soleil de plomb. La file des passagers du vol C.P.29 s?étire vers l'appareil. En avant : la grosse Chinoise et sa marmaille en rang d?oignons. Derrière : le lieutenant et sa fillette. Elle trottine. Sa jupette bleu marine plissée bat ses petites jambes. D'une main, elle s?est cramponnée à son père et, de I?autre, elle serre sa poupée. «Pourquoi tu ne viens pas avec nous, papa ? ? Je ne peux pas. J'ai mon travail ici... ? Tu reviendras demain... ? C'est trop fatigant. ? Tu te reposeras chez maman... ? Je n?ai pas de billet. ? T'as qu'à en acheter un ! » L'enfant s'est arrêtée au pied de la passerelle, et son père la rassure. «Allons, sois raisonnable. Tu sais bien que ce n'est pas possible. Et puis tu n?es pas seule, Somwang est avec toi.» La fillette a fondu en larmes. Elle bloque l?accès à la passerelle. «S'il vous plaît ? Voulez-vous laisser le passage libre ? demande, là-haut, une hôtesse. ? Calme-toi, mon chéri, dit la jeune Somwang en caressant la tête de la petite fille. Ton papa viendra bientôt à Hong Kong. N'est-ce pas que vous viendrez bientôt ? ? Oui, oui», répond le père en reculant de quelques pas. Somwang, saisissant alors énergiquement la main de la petite fille, la force à monter la passerelle. Parvenue sur la plate-forme devant la porte, I'enfant se retourne. Elle n'a d'yeux que pour son père et cherche son regard. Mais celui-ci ne la voit pas. Il ne voit que le nécessaire de toilette en cuir que Somwang porte à la main gauche. Il ne voit pas ou ne veut pas voir que l?enfant hurle et tend les bras. Il ne voit que le nécessaire en cuir. Somwang et la fillette disparaissent de la passerelle, le lieutenant fait demi-tour et entre dans l?aéroport. Comme d'habitude un peu réservé, un peu froid, il parcourt lentement les couloirs de l'aéroport de Bangkok en regardant sa montre. Il imagine que dans le vol C.P.29 qui va décoller de l'aéroport de Bangkok en direction de Hong Kong, sa jeune maîtresse, la très jolie Somwang, pose au-dessus d'elle, dans le compartiment à bagages, un nécessaire de toilette en cuir, fermé à clef, qu'elle doit remettre à Hong Kong à son ex-femme. Somwang a dû boucler la ceinture de la petite fille qui, sa poupée sur les genoux, doit coller son nez au hublot pour essayer de discerner quelque part la silhouette de son papa. Mais le papa ne s?en soucie plus. Sa fille n'a jamais compté, et maintenant c'est comme si elle n?existait déjà plus. L'avion doit maintenant rouler sur le taxiway et gagner la piste. Tandis que le lieutenant Somchai emprunte l'escalier roulant et se dirige tranquillement vers le parking, le Convair doit rouler sur la piste, décoller et prendre de l'altitude. Lorsque le lieutenant atteindra sa voiture sur le parking, l?avion ne sera plus qu?un petit point minuscule dans le ciel où il volera en direction du Vietnam du Sud. Certains passagers doivent détacher leur ceinture, allumer une cigarette. L'hôtesse doit disposer sur un chariot des boissons fraîches. La fillette, ne voyant plus l'aérodrome, doit, sans doute, abandonner le hublot pour s'occuper de sa poupée. Le lieutenant Somchai pousse un soupir de soulagement. Personne ne doit se préoccuper du nécessaire de toilette en cuir noir, là-haut, dans le compartiment à bagages. C?est alors que les yeux du lieutenant s'arrondissent. Il a un coup au c?ur. Il reste les bras ballants, droit comme un piquet au milieu du parking. Le Convair 88 de la Cathay Pacific Airways est toujours immobile sur le taxiway, les hublots de sa carlingue bleu et blanc miroitant au soleil. (à suivre...)