Destinée n Il y a des gens qui naissent avec la misère écrite sur leur front pour les accompagner dans leur vie. Fatma-Zohra est de ceux-là. Fille de mendiants habitant à R?hamlia (Tizi Ouzou), elle sera destinée, dès sa naissance, à la mendicité, d?abord dans les bras de sa mère qui s?en sert pour susciter la pitié des passants, ensuite elle quittera le giron de sa génitrice pour aller faire la manche toute seule «comme une grande». Elle laisse sa mère installée avec son petit frère au square de la ville et va se mettre sur les marches menant vers la direction de l?Opgi, rue Abane-Ramdane. Elle avait 12 ans quand nous l?avons connue à l?automne 2000. Sous ses haillons, se cache une douce beauté. Brune, avec une longue chevelure soyeuse teinte au henné et dissimulée sous un fichu et de grands yeux noirs, Fatma-Zohra est charmante. Douce et sans aucune agressivité, elle était très appréciée par les locataires de la cité Opgi qui discutaient avec elle et lui donnaient argent, nourriture et vêtements. Elle esquissait alors un large sourire en guise de remerciement. Elle n?a pas besoin de tendre la main aux passants. Parfois, lorsque quelqu?un lui remettait un gâteau ou un sandwich, elle remerciait et demandait de l?argent.«Si je rentre sans argent, mes parents penseront que j'ai passé la journée à jouer et ils me battront», nous a-t-elle confié un jour. Pendant les événements de Kabylie, Fatma-Zohra trouvera toujours refuge chez les habitants de la cité Opgi, lorsqu?au déclenchement d?une émeute la rue est arrosée de gaz lacrymogènes. En 2003, Fatma-Zohra disparaît de la cité Opgi, les habitants s?interrogent sur son sort, pensant qu?elle a changé d?endroit et finissent par l?oublier. Un jour, nous l?avons croisée au boulevard Stiti qui mène vers la Nouvelle-Ville. Elle était complètement changée. Jean serré, petite coupe, cheveux teints. Elle était méconnaissable. Elle passe, des jeunes l?abordent, elle sourit et s?en va. Par la suite, nous apprenons que Fatma-Zohra a été récupérée par la gérante d?un bar qui l?emploie. A 15 ans, la petite mendiante a fait son entrée dans le monde impitoyable de la prostitution? Quelques mois plus tard, nous apprenons que les services de sécurité ont arraché l?adolescente des griffes de ses employeurs, mais n?ayant pas où aller, elle se retrouve de nouveau dans la rue. Elle fait la manche près de la sûreté urbaine, sise rue Abane-Ramdane (ex-brigade de la gendarmerie), sous l??il vigilant des policiers qui la rappellent à l?ordre quand elle répond aux avances d?un passant. Puis, un jour, elle n?était plus à son endroit habituel ni dans toute la ville. Les réseaux de la prostitution ont eu le dernier mot?