A Oued Aïssi, l'on fait dans la grosse débrouille pour assurer la pitance des siens. La dureté de la vie et ses aléas ont poussé, dans la rue, femmes, enfants et personnes âgées. Ces damnés du macadam sont là en ville, dans les coins de rues ou encore dans les encoignures de portes pour tendre la main. La dure vie que ces gens subissent ravage leur âme et leur physique. Elle est assise sur un bout de carton, ramassée en boule et vêtue de haillons informes aux couleurs passées, rappelant vaguement une robe kabyle et une fouta jadis chatoyantes. Un bébé, vagissant dans les bras et enroulé dans des chiffons, dormait, une sucette dans la bouche et un essaim de mouches sur lui. La parole parcimonieuse et mielleuse à souhait, le regard fuyant, elle tend la main. Elle, c'est la mendiante qu'une voiture a déposée le matin devant la place de la mairie à Tizi Ouzou, elle a pour but de ramasser le plus possible de dinars et participer à la vie de la famille. C'est une sorte de rituel qui a déjà son histoire : venues des environs de Djelfa ou encore de Sidi Aïssa, des familles, chassées par la misère, ont essayé de trouver refuge à Oued Aïssi. Là, dans des cahutes criant misère, sans eau, sans électricité, sans tout-à-l'égout, des familles végètent. Ribambelles d'enfants promenant leurs ventres nus et affamés aux intempéries, cohortes de femmes lessivées par l'usure du temps et par les problèmes, hommes à la recherche de pitance, c'est le monde informel des damnés du macadam. Favellas de Rio, l'une de vos soeurs vous salue depuis Oued Aïssi. En ce village underground aux ruelles suintant la misère, corollaire de toutes les dépravations et de toutes les déviances, des hommes, des femmes, des enfants souffrent. A Oued Aïssi, l'on fait dans la grosse débrouille pour assurer la pitance des siens. Des idées sont venues à certains et c'est ainsi qu'une mendicité organisée existe. Le matin, les femmes vêtues de haillons et ayant appris quelques mots de kabyle afin d'interpeller le passant dans la langue locale sont déposées dans les coins stratégiques de la ville de Tizi Ouzou et des villes environnantes. A certaines on emprunte même des enfants en bas âge afin de susciter encore plus la pitié, et vogue la galère. Déposée en un coin de la ville, la femme, munie d'une bouteille d'eau et souvent aussi d'un biberon de lait pour le bébé, le sien ou celui emprunté pour l'affaire, tend la main. Pour faire encore plus «vrai» et attirer la compassion des gens, certaines de ces femmes s'entourent également d'enfants, et du matin au soir, ils sont là jouant aux côtés de la mendiante...La femme informe, avec dans le regard un trait fugace d'une beauté passée, tend la main et accompagne ce geste d'une demande appuyée en kabyle. Le soir, la même voiture repasse, reprend ces femmes qui enfin rentrent chez elles en attendant une autre journée. Les maris, eux, n'ont que leur force de travail à vendre. Massés au niveau de la poste centrale de Tizi Ouzou, ils sont là à attendre un problématique emploi. Misère quand tu nous tiens! D'autres mendiants peuplent les rues de Tizi Ouzou. Ils sont généralement âgés. Les hommes se tiennent devant la porte de la grande mosquée ou encore devant les accès des restaurants, et d'autres n'hésitent pas à aborder les gens dans la rue. Le plus risible de tous, malgré son état, est certes celui-là qui vous tient par l'épaule et vous demande tout de go: «Payez-moi un sac de semoule!» Il se trouve toujours des gens qui mettent la main au portefeuille et décident de lui payer son sac de semoule, sinon notre mendiant insiste, il vous entraîne de force vers le commerçant avec lequel il a passé un accord. C'est que le soir venu, il prend son argent en espèces sonnantes et trébuchantes. Un autre surprend son monde en s'adressant surtout aux femmes en leur demandant une obole, sinon il s'adresserait au Bon Dieu. Dans le flot des miséreux qui hantent les rues et ruelles de la ville, des histoires et des drames. Ecoutons l'un de ces pauvres hères raconter sa vie de tous les jours. «Le matin, j'arrive en ville et me poste devant la mosquée, puis, de là, vers midi-treize heures, je suis devant cette gargote où une âme charitable me restaure, enfin le soir, je suis devant la poste. Il arrive des jours où je me fais jusqu'à trois cents ou quatre cents dinars ; en hiver je passe souvent des semaines sans faire cent dinars!» Une mendiante approchée, refusera de témoigner. «S'il vous plaît, donnez-moi une pièce ou passez votre chemin.» Ses yeux apeurés disent qu'elle devait être surveillée de loin. Bref, la vie de plus en plus difficile jette dans la rue femmes, enfants et personnes âgées. Tendre la main n'est pas une mince affaire et bien des personnes, jadis, respectables et industrieuses sont réduites à cela, l'âge et l'insouciance de la jeunesse étant en partie responsables. Aujourd'hui dans les rues de la ville, mis à part ces femmes qui semblent appartenir à une sorte d'organisation, organisation dictée par la pauvreté, les mendiants se font petits et essaient de passer sans trop se faire remarquer. La pauvreté qui s'installe doucement fait des ravages.