Londres, juillet 1992. Sur une chaîne de radio anglaise, un homme jeune, la voix enrouée par la détresse, lance un appel à témoins. «J'ai besoin d'agir, je ne peux pas attendre près du téléphone. Mon fils de trois ans est l'unique témoin. Pour l'instant, il est sous le choc, incapable de parler, les médecins m'ont dit qu'il était trop jeune pour garder plus tard un souvenir du drame qu'il vient de vivre. Dieu merci, il s'en remettra. Mais un jour, demain peut-être, il pourra identifier le meurtrier. Sa vie est en danger. Quelqu'un a dû voir quelque chose. Cet homme n'a pas pu s'enfuir dans le parc sans qu'on le remarque. Il était forcément couvert de sang ! Je voudrais dire à ceux qui le connaissent... peu importent leurs sentiments pour lui... de venir témoigner en masse, je les en supplie, avant qu'il ne détruise une autre vie...» Ce père de famille, André Hanscombe, a vingt-cinq ans. Jusqu'à ce jour, il vivait avec sa femme Rachel, vingt-trois ans, et leur petit garçon de deux ans et demi dans un petit deux-pièces de la banlieue ouest de Londres. Un bonheur tranquille. La vie était certes un peu dure. Lui, professeur de tennis au chômage, avait dû, pour faire vivre sa famille, se résoudre aux petits boulots, coursier, livreur, en attendant de retrouver un emploi conforme à ses capacités. Elle, jeune et jolie, ravissante même, entamait une carrière de mannequin qui s'annonçait prometteuse, ses études à l'université, en droit et philosophie n'offrant pour l'instant aucun débouché. Le couple vivait, comme beaucoup, la crise de l'emploi, mais s'en sortait courageusement. Une vieille voiture, une vie simple, Rachel distribuant son temps entre son petit garçon et les séances de pose. En ce matin du 15 juillet 1992, André la quitte pour effectuer son travail de livreur. Elle décide d'aller promener le petit Alex dans le parc public de Wimbledon et d'y faire un jogging en même temps. Rachel emmène avec elle leur chien, un labrador et, aux environs de dix heures, gare sa voiture dans les aIlées du parc. Il y a beaucoup de monde à proximité. Un club de golf, des promeneurs et leurs chiens, des adeptes de la course à pied. Le Wimbledon Common Park, à l'ouest de Londres, ressemble au bois de Boulogne parisien. En tout, c'est-à-dire qu'il a deux vies : une vie diurne pour les citadins friands de grand air et une vie nocturne pour les autres, friands de rencontres plus privées. Mais, à dix heures du matin, en plein mois de juillet, une mère et son enfant peuvent y circuler sans danger. A onze heures du matin, les faits prouvent le contraire. C'est un promeneur, comme Rachel, avec son chien lui aussi, qui découvre un spectacle horrible. D'abord il entend pleurer, gémir ? des petits cris d'enfant terrorisé. Il franchit quelques bosquets en direction des pleurs, pensant à un gamin perdu. Un corps de femme ensanglanté est recroquevillé à terre. C'est Rachel. Un petit garçon en pleurs est accroché au cadavre de sa mère. C'est Alex. Spectacle insoutenable, affreux, l'enfant porte des traces de coups, des ecchymoses au visage, il est lui-même couvert du sang de sa mère et s'agrippe à elle. Il vient de subir un choc épouvantable, manifestement il a assisté à l'agression, au viol et aux quarante-neuf coups de couteau qui ont fait mourir la jeune femme dans des conditions atroces. Le promeneur arrache l'enfant à ce cadavre dénudé, court le mettre sous la protection d'autres promeneurs, et la police arrive très vite sur les lieux. Les joueurs de golf, non loin de là pourtant, n'ont rien entendu, pas plus que les passants dans les allées voisines. Toutes les identités sont vérifiées immédiatement ? une vingtaine de témoins ? et par élimination la victime est identifiée comme étant la propriétaire d'une Volvo grise, garée à cinq cents mètres. L'enfant, sous le choc, est incapable de parler. Le chien a disparu. C'est ainsi que vers midi, lorsque André Hanscombe téléphone chez lui pour prévenir sa femme qu'il a terminé son travail de la matinée, il tombe sur la police. «Votre femme a été agressée, votre fils est vivant...» L'univers s'écroule. En faisant le chemin qui le sépare de son domicile, André Hanscombe croit devenir fou. (à suivre...)