Drame «Avant-hier, un enfant du camp jouait avec un obus qui a explosé, lui amputant plusieurs doigts», raconte Abou Kerria. Pieds nus, jouant aux quilles avec des balles de gros calibre ou s'assoupissant dans la coquille vide d'un missile, les enfants du camp Al-Rachid n'ont qu'un rêve : reprendre le chemin de l'école qu'ils ont été obligés d'abandonner. Provenant en majorité du quartier chiite d'Al-Thourah à Bagdad, l'ex-bidonville Saddam City, ils ont suivi leurs parents venus squatter l'immense base militaire située près du centre-ville. Fleuron de l'ère guerrière de Saddam Hussein, le complexe regroupait usines militaires, prisons et camps d'entraînement. Il n'est plus qu'un champ de ruines où de rares bâtiments ont échappé aux bombardements américains, pour être squattés par un millier de personnes, dont 600 environ en âge scolaire. «Mon père rêve de retrouver du travail, ma mère une maison et, moi, je ne rêve que de retourner à l'école», dit Azraa Abboud, 14 ans, en nouant ses cheveux noirs encadrant son visage au teint mat. La rentrée a eu lieu cette semaine, mais Azraa ne retrouvera pas l'école Al-Mafakher où elle était «excellente en maths et en anglais». Son père, Mahdi Ojail Abboud, âgé de 36 ans mais paraissant vingt de plus, est malade et chômeur depuis la chute de Bagdad en avril. Incapable de payer le loyer de 35 000 dinars (17 dollars), il occupe avec sa femme, Halima, 38 ans, et ses six enfants des bureaux du camp. «Vêtements et transports sont nécessaires pour l'école. Nous n'avons pas de quoi les payer», explique Halima, entourée de ses enfants qui ont tous abandonné l'école. Ils dorment sans matelas sur des lits en fer défoncés qu'utilisaient les soldats, et ont transformé les cabinets de dossiers militaires en armoires pour habits et casseroles. Une grande marmite remplie d'eau est leur baignoire. L'eau et le courant électrique sont déviés clandestinement, mais les Américains ont interrompu le «trafic» du courant depuis 48h. Comme la majorité des familles, ils survivent grâce aux rations de nourriture qui étaient fournies par le régime déchu et que les occupants américains ont décidé de continuer à assurer. Abou Karar Ismaïl, 36 ans, a logé dans une ancienne cellule de détention sa femme Sajet, ses trois enfants, et sa mère. Ancien marchand ambulant, son commerce s'est arrêté car il n'avait plus d'argent pour acheter la marchandise. Sa mère, infirmière, fait bouillir la marmite. «Des animaux n'accepteraient pas d'être enfermés ici.»