Attendre trois heures pour acheter du pain, écouter les nouvelles à la radio et dormir avec les enfants dans la même pièce : la guerre a changé les habitudes de vie des Ghazaouis. Récit du quotidien. El Qods occupé. De notre envoyée spéciale Sans travail, coupés du monde, occupés par les enfants qui ne vont pas à l'école… On oublie parfois quel jour on est… » Ziad Medoukh, professeur de français à l'université d'El Aqsa à Ghaza, respire. Avec le cessez-le-feu prévu pour une semaine, tout le monde reprendra un peu ses habitudes. « Sachant que les bombardements allaient cesser, les gens qui s'étaient réfugiés au centre-ville – environ 30 000 personnes – sont partis voir dans quel état se trouve leurs maisons. » Hier, pour la première fois depuis trois semaines, aucune bombe, aucun missile n'a fait sursauter ses quatre petits garçons, âgés de 2 à 10 ans. Pourtant, située au centre-ville, à 1 km de la plage, la maison de Ziad est aux premières loges. « La première semaine, une bombe est tombée chez l'un de mes voisins. Les vitres de notre maison ont été soufflées, raconte-t-il. Que ce soit une roquette lancée d'un bateau, une bombe larguée d'un F16, même à 5 km de là, ou un missile tiré d'un char, nous avons tout entendu. » Et presque tout vu. Y compris la fumée blanche des bombes au phosphore qui a, plusieurs fois, enveloppé la ville. Farès Chahine, notre correspondant à Ghaza, lui aussi, a entendu « plus de 20 raids de F16 qui ont ciblé les terrains où, selon les Israéliens, se trouvaient des camps d'entraînement du Hamas ». A moins de 100 mètres de chez lui. « Quand on entend une bombe tomber près de la maison, on essaie d'appeler les voisins, souvent en vain, car le réseau des communications a été détruit. Sinon, on écoute la radio où trois chaînes palestiniennes tentent de diffuser des informations, même si elles ne sont pas toujours fiables. » Le poste radio, lui, fonctionne avec des piles, car depuis trois semaines, il faut aussi apprendre à vivre sans électricité. Donc, pour la plupart des foyers, pas d'eau. « Dans les immeubles qui ont accès à un puits, l'eau arrive au moyen de pompes qui ont besoin d'électricité pour l'acheminer, précise Farès. Chez moi, nous avons un groupe électrogène, mais il fonctionne suivant un calendrier – de 6h à 9h – pour ne pas trop consommer de carburant. » Il y a quelques jours, les coupures ont duré treize jours consécutifs. « On ne pouvait ni faire tourner la machine à laver, ni donner le bain aux enfants, ni allumer le chauffage. Depuis dimanche, nous avons l'électricité huit heures par jour. Un luxe ! Enfin, je suis étonné de voir combien les Ghazaouis se sont vite habitués à cette vie… » Même les enfants, retenus à la maison la première semaine, ont eu la permission de sortir jouer dans la rue avec leurs voisins. Tous les vendredis, Farès descend au marché faire quelques courses. « La dernière fois, j'ai été frappé de voir autant de monde. Les gens étaient décontractés. On entendait des explosions au loin, comme si de rien n'était ! » Trois semaines de bombardements n'auront en tout cas pas suffi à entamer la solidarité des Palestiniens. « Nous avons logé des cousines qui habitent en temps normal dans des quartiers sensibles pendant plusieurs jours, raconte Ziad. Et nous ne sommes pas les seuls, toutes les familles ont hébergé des parents. » Quand l'UNRWA (Agence des Nations unies d'aide aux réfugiés palestiniens) a ouvert des centres d'accueil, beaucoup de bénévoles se sont présentés, donnant aussi de la nourriture ou des matelas.« Nos journées sont en général bien occupées, poursuit Ziad. Surtout les matinées. On descend chercher du pain et on discute avec les voisins pour avoir des nouvelles ou bien on fait quelques courses. » La première semaine, les rayons des épiceries étaient vides. Mais avec l'aide humanitaire, les produits sont arrivés, en priorité pour les réfugiés, puis pour les habitants de la ville. Au marché, il est encore possible de trouver des légumes. « Les Ghazaouis qui cultivent des courgettes, des tomates ou des pommes de terre les ramènent au marché. Donc, on a un peu le choix, reconnaît Farès. Ce qui n'est pas le cas pour les fruits. Il y a bien quelques oranges, des clémentines et des fraises produites localement, mais c'est tout. » Encore faut-il avoir assez d'argent pour remplir son couffin. « La tomate est à presque 2 euros le kilo ! », souligne Ziad. Quant à la farine, on la trouve à 1,5 euro le kilo contre 0,20 euro avant la guerre. Le prix à payer quand on veut préparer son pain à la maison. Pour ceux qui peuvent encore le faire. « Depuis plus d'un mois maintenant, nous cuisinons sur de vieux fourneaux qui fonctionnent au gasoil, car nous n'avons plus de gaz domestique », ajoute Farès. Quand on ne peut pas faire son pain, il ne reste qu'à se joindre à la file d'attente devant les boulangeries et patienter trois à quatre heures pour avoir trois à quatre baguettes.Au coucher du soleil, vers 17h, tout le monde rentre chez soi. Seules quelques ambulances circulent. « Les enfants n'ont ni télé ni jeux, alors ils se couchent vers 19h, témoigne Ziad. Eux aussi s'adaptent. Avant la guerre, ils refusaient parfois de manger ce qui ne leur plaisait pas. Maintenant, ils prennent ce qu'on leur donne. A l'intensification des bombardements, nous avons pris l'habitude de dormir tous ensemble dans la même pièce, pour être là si les enfants se réveillent, leur donner à boire, les rassurer. Et répondre à leurs questions : ‘'Est-ce que c'est une vraie guerre ? Est-ce qu'on va détruire notre maison ? Nous tuer ?'' » « Quand je pense à demain, je me dis que tout est à reconstruire, confie Ziad. Mais pas seulement. En tant qu'enseignant, je pense que notre rôle sera aussi de redonner du courage aux jeunes qui ont perdu espoir. Il faudra reprendre le cours de la vie et être plus que jamais actifs… »