Lyon, ancienne capitale des Gaules, ville dynamique, florissante, commerçante, mère des arts et aussi, pour ceux que le sujet intéresse, une des capitales européennes de la parapsychologie, de la magie, des sciences occultes... Derrière bien des façades bourgeoises ou prolétariennes, le soir venu, vapeur d'encens, bougies plus ou moins maléfiques et cercles ésotériques multiplient les appels au surnaturel, au maléfique, au prince des ténèbres. Et parfois les sorciers acharnés, les nécromanes à la petite semaine, qui marmonnent leurs abracadabras, exercent, dans le civil, les professions les plus anodines : commerçants, ouvriers spécialisés, conducteurs d'autobus... A qui se fier ? Ce matin-là, Christian, quarante-neuf ans, s'apprête à démarrer au volant de son autobus. Voilà quinze ans qu'il «fait» la ligne. Une journée sans problème. Les problèmes, Christian en a suffisamment comme ça chez lui. Des choses un peu vagues, liées à des relations un peu malsaines. Christian se passionne pour les contacts avec l'au-delà ; comme beaucoup, il rêve d'un contrat avec quelque puissante entité qui lui garantirait la jouissance définitive en ce bas monde de biens matériels inépuisables. Christian partage cette passion avec d'autres individus que rien ne désigne comme tels au premier regard. Il connaît des maisons bourrées de talismans, de crucifix, de cierges multicolores, de gris-gris et autres accessoires inquiétants. Tous ces spectateurs de Lucifer et des légions infernales ne forment pas une famille très unie. Christian, depuis quelque temps, a un différend avec Daniel P. qui, lui aussi, travaille dans les transports. Ce différend est assez mystérieux et Christian ignore, en fait, ce que Daniel lui reproche. Toujours est-il que, dernièrement, lorsqu'ils ont eu l'occasion de se trouver face à face, l'échange verbal a été assez vif. Daniel a sommé Christian «d'arrêter ses conneries». Ce terme courant mais vulgaire a, de plus, le défaut de manquer de précision : de quelles «conneries» peut-il bien s'agir ? Christian est donc, ce jour-là, perdu, une fois de plus, dans une réflexion perplexe sur ce sujet lorsqu'il perçoit, machinalement, sur la route, l'arrivée d'une grosse moto qui s'approche de son autobus prêt à démarrer. A l'arrière de la moto, un passager qui tient quelque chose à la main. «On dirait un flingue», pense Christian. Un revolver assez impressionnant et dirigé tout droit vers le crâne de Christian... Soudain, des détonations retentissent. Christian, vaguement sur la défensive depuis quelques semaines, plonge au niveau du plancher de son véhicule : ce geste lui sauve la vie puisque la gendarmerie, bientôt appelée sur les lieux, dénombrera quatre balles tirées sur l'habitacle. Les tireurs motorisés ont, bien sûr, quitté les lieux dans le vrombissement de leur engin. Christian, aplati sur le plancher de l'autobus, n'a pas eu le temps de les identifier. Les connaît-il seulement ? Aussitôt après la fusillade, les collègues de Christian se rassemblent, indignés. On déclenche un mouvement de grève en manière de protestation. Si ça ne résout pas l'énigme, ça fait passer le temps... D'après les projectiles, on conclut à une arme très ancienne du genre «souvenir de 14-18», comme on en trouve encore dans les familles, ultime héritage d'un grand-père poilu, décédé depuis longtemps. En aucun cas il ne s'agit d'une arme de professionnel de l'assassinat... Faute de mieux on passe la vie de Christian, l'agressé, au peigne fin. Rien à déclarer. On l'interroge longuement. Qu'il réfléchisse, qu'il essaye de se remémorer le moindre incident qui pourrait traduire l'existence d'un ennemi dans le cercle de ses intimes. A suivre