Portrait n Il fait figure de monument culturel du fait de sa longue expérience et d'un vécu totalement dévoué à la cause livresque. Il s'agit de Mouloud Mechkour. Sa boutique, incontournable pour les amateurs de livres, est située au 74, rue Didouche-Mourad. Extérieurement, son aspect est quelconque ; à l'intérieur, des centaines de livres sont rangés sur des étagères en bois. Des ouvrages, datant, parfois de 30 ans, sont déposés à côté d'autres, plus récents. Le moindre espace est habilement exploité par le gérant. Par terre, des dizaines de piles de revues. L'atmosphère est fortement imprégnée de l'odeur du papier, la lumière se fait discrète. Le comptoir est occupé par des centaines d'autres livres qui se bousculent et rivalisent de mots silencieux. Les yeux de quelques clients fouillent les étagères, sautant d'un titre à un autre. Les yeux vifs du gérant font, quant à eux, un incessant va-et-vient sur les clients ; il connaît les goûts de chacun. «La plupart sont des clients de longue date», confie-t-il. D'apparence réservé, le gérant se révèle, au bout de quelques minutes, un habile communicateur, ses paroles sont truffées d'anecdotes et de savoir. Il faut dire qu'il n'est pas nouveau dans le domaine. Certainement, il est l'un sinon le plus ancien des bouquinistes de ce pays. «J'ai commencé en 1951, à l'âge de 16 ans, dans ce métier.» le seul qu'il sait exercer, selon ses propos. Après quelques mois d'exercice et une motivation de fer, il gagna la confiance de sa patronne, qui le responsabilisa. «A l'époque, elle avait acheté un bar restaurant à Nice, elle ne venait que du 30 septembre au 30 octobre. Elle trouvait une comptabilité nette, des clients satisfaits de mon travail», explique-t-il. Interrogé sur cette époque, qui semble à la fois si proche et si lointaine pour la mémoire collective, Mouloud répond : «Il y avait de grands noms de la littérature française qui venaient ici.» il cite Camus, Roblès, mais surtout «mon ami Georges Arnault». Il évoque le souvenir de la visite du maire de Paris, M. Delanoé. «Entouré de personnes, il était de l'autre côté de la rue ; il a vu la boutique, il y est entré et a acheté deux livres.» Ils ont discuté un bon moment. Des auteurs viennent questionner Mouloud sur leurs livres, «pour savoir s'ils se vendent bien». Mais, Mouloud regrette que «depuis 1986, il y a de moins en moins de lecteurs». Les siens sont des vieux. Il connaît par cœur des milliers de titres, l'emplacement de chaque livre : «C'est comme dans une pharmacie, chaque livre est à sa place.» Le secret: il faut qu'une seule main s'occupe du rangement, dit-il. Il affirme qu'il travaille 13 heures par jour ; il arrive chaque matin à 5h 30, met de l'ordre et ouvre de 8h à 19h, sauf le vendredi.