Autrefois, en ces temps anciens et féeriques, à des centaines et même des milliers de lieux, existaient des gens solitaires. De larges rivières les séparaient de tout, ainsi que d'impénétrables forêts où pas même un animal n'aurait pu se frayer de chemin. Ils demeuraient donc dans leurs chalets isolés, et beaucoup d'entre eux ne voyaient un visage étranger toute leur vie durant. A moins qu'un voyageur ne passe par chez eux. Bien sûr, ils n'étaient pas tous ainsi. Malgré leur solitude, certains savaient bien que, par-delà les forêts et les rivières, existaient non seulement des villages, mais aussi des villes de pierre avec leurs châteaux, leurs maisons, leurs églises... Lavri savait cela aussi. Il vivait à l'est, dans un chalet, avec sa jeune et belle femme et ses parents. Un jour d'hiver, alors qu'il allait chercher du bois dans la forêt, il rencontra un chasseur tout à fait inconnu qui lui parla de la ville. Comment tous ces gens se déplacent en carrosse et comment chacun est vêtu de beaux tissus étrangers et non pas, comme Lavri, de fourrure ébouriffée... Comment ces gens se régalent de bonne nourriture, de boisson et de musique ... Bref, il raconta des choses tout à fait extraordinaires. Depuis cette rencontre, la curiosité du jeune paysan était tout émoustillée. Comme il ne pouvait bien se représenter les choses, il décida de s'en rendre compte de ses propres yeux, même si le voyage jusqu'à la ville devait durer toute une année. Mais on ne voulut pas le laisser partir de la maison. Sa femme protesta. Sa mère se lamenta. Et son vieux père ronchonna contre ces idées stupides, disant qu'il n'avait lui-même jamais vu de ville de sa vie et que cela ne lui avait pas manqué. Mais Lavri tenait à son idée. Au printemps, dès que la neige eut un peu fondu et que les loups se furent retirés au plus profond de la forêt, il sella le seul cheval qu'ils possédaient à la ferme et s'en fut par les chemins. Il avança longtemps avant de trouver la bonne route et d'atteindre, bien plus loin, les châteaux de pierre. Enfin, il accéda à l'une des portes de la ville et il put enfin contempler ces maisons et ces palais étonnants, ces majestueux habitants des villes et leurs belles dames. Il put observer le mouvement des rues, les beaux habits, les victuailles que les gens mangeaient dans la première auberge venue et que lui n'avait jusqu'ici jamais goûtées. Il réalisa vite que, tandis que chez lui on ignorait ce qu'était l'argent, puisqu'on n'en avait jamais besoin, ici, en ville, sans lui, rien n'était possible. Alors, comment en obtenir ? Lavri y réfléchit longuement. « Je sais monter à cheval, aussi bien à cru qu'avec une selle », se dit-il. Et il se proposa comme cocher au premier homme qu'il rencontra. La chance fut avec lui : c'était un riche marchand qui cherchait justement un bon cocher. Accord conclu. Et, comme le marchand n'était pas avare et qu'il appréciait l'honnêteté des gens à sa juste valeur, ils se plurent tout de suite. (à suivre...)