Il était une fois un marchand qui, en douze ans de mariage, n'eut qu'une fille, Aïcha la très belle. Sa femme mourut alors que la petite avait huit ans. Sentant approcher sa fin, la mère l'appela, prit une petite poupée cachée sous sa couverture et dit à Aïcha : «Ecoute mes dernières paroles, obéis à mes dernières volontés. Je te donne cette poupée avec ma bénédiction maternelle ; garde-la, ne la montre à personne. Si quelque mal t'advient, offre à manger à ta poupée et demande-lui conseil. Elle t'aidera dans le malheur.» La femme du marchand embrassa sa fille et mourut. Le veuf se désola comme il convient, puis songea à se remarier. C'était un homme bon et il ne manquait pas de prétendantes, mais il choisit une femme plus très jeune, veuve comme lui, avec deux filles de l'âge de la sienne. Une bonne ménagère, s'est-il dit, et mère de famille avisée. Il l'épousa donc, mais il se trompa : sa femme n'était pas une bonne mère pour sa Aïcha. La marâtre et ses filles étaient jalouses de la beauté de Aïcha. Elles la tourmentaient, I'accablaient de besogne, pour que le vent et le soleil la fassent noircir, que le travail la fasse dépérir. Mais Aïcha supportait tout sans se plaindre et devenait chaque jour plus belle, chaque jour plus blanche et rose, alors que la marâtre et ses filles qui ne bougeaient pas, ne faisaient rien de leurs dix doigts, maigrissaient de dépit et jaunissaient d'envie. Elles ne savaient pas que sa poupée aidait Aïcha. Sans elle, la fillette n'aurait pas pu accomplir tout ce travail. Le soir, quand tout le monde s'endormait, la jeune fille s'enfermait dans son appentis, servait à manger à sa poupée et lui racontait ses malheurs : «Petite poupée, mange et écoute mes peines ! Triste est la maison de mon père, la méchante marâtre veut ma perte. Dis-moi, ce que je dois faire ?» La poupée mangeait, puis elle consolait Aïcha, la conseillait et, au matin, faisait tout le travail à sa place. Aïcha se reposait à la fraîcheur, cueillait des fleurs et, pendant ce temps, le potager était sarclé, I'eau puisée, les choux arrosés, le feu allumé. La poupée lui indiquait même une herbe contre le bronzage. Et la jeune fille choyait sa poupée, lui gardait les meilleurs morceaux. Aïcha grandit et devint une fille à marier. Tous les garçons de la ville demandaient sa main et personne ne regardait les filles de la marâtre. Alors, la marâtre se mit à haïr Aïcha encore plus fort et répondait aux prétendants : «Je ne marierai pas la fille cadette avant les aînées !» Et après le départ des garçons, elle battait Aïcha pour se venger. Un jour, le marchand dut partir en voyage pour longtemps. La marâtre s'en alla habiter une maison à l'orée de la forêt. Dans cette forêt vivait Baba-Yaga, la vieille sorcière. Elle ne laissait personne approcher de sa maison et croquait les gens comme des poulets. Pour se débarrasser de Aïcha, la marâtre l'envoyait tout le temps dans la forêt : cherche ceci, apporte cela. Mais la jeune fille revenait saine et sauve, sa poupée la guidait, I'éloignait de la maison de Baba-Yaga. L'automne vint. Durant les longues soirées, les filles travaillaient : I'une à faire de la dentelle, l'autre à tricoter des bas et Aïcha à filer le lin. La marâtre leur donnait leur tâche pour la nuit et se couchait, ne laissant qu'une chandelle allumée pour les travailleuses. L'une de ses filles fit mine de moucher la chandelle avec une pince et l'éteignit, comme sa mère le lui avait ordonné. «? Quel malheur ! L'ouvrage n'est pas terminé et il n'y a pas de feu dans la maison. Il faut aller demander du feu à Baba-Yaga ! Qui va y aller ? ? Pas moi, dit la dentellière. Avec mes épingles, j'y vois clair ! ? Ni moi, dit la tricoteuse. Mes aiguilles brillent, j'y vois bien.» Et toutes les deux s'en prirent à Aïcha : «C'est à toi d'aller chercher du feu chez Baba-Yaga !» (à suivre...)