C?est bien, approuva Baba-Yaga. Tu interroges sur ce que tu as vu dehors, pas sur ce qui se passe dedans. J?entends laver mon linge en famille, et les trop curieux, je les mange ! Et maintenant c?est mon tour de te poser une question : comment arrives-tu à faire tout le travail que je te donne ? ? La bénédiction maternelle me vient en aide, grand-mère. ? C?est donc ça ? Eh bien, fille bénie, va-t-en, et tout de suite ! Je ne veux pas, de bénis, chez moi ! Baba-Yaga poussa la jeune fille dehors, mais avant de refermer le portail, elle prit un crâne aux yeux ardents, le mit au bout d?un bâton qu?elle fourra dans la main de Aïcha. ? Voilà du feu pour les filles de ta marâtre, prends-le ! Après tout, c?est pour ça qu?elles t?avaient envoyée chez moi. Aïcha partit en courant dans la forêt. Les yeux du crâne éclairaient son chemin et ne s?éteignirent qu?à l?aube. Elle chemina toute la journée et, vers le soir, comme elle approchait de la maison, elle se dit : «Depuis le temps, elles ont sûrement trouvé du feu?» et voulut jeter le crâne. Mais une voix en sortit : «Ne me jette pas, porte-moi chez ta marâtre !» Aïcha obéit. En arrivant, elle fut bien étonnée de ne pas voir de lumière dans la maison, plus étonnée encore de voir la marâtre et ses filles l?accueillir avec grande joie. Depuis son départ, lui dit-on, pas moyen d?avoir du feu dans la maison. Celui qu?on allume ne prend pas, celui qu?on amène de chez les voisins s?éteint. ? Le tien se gardera mieux, peut-être, dit la marâtre. Aïcha apporta le crâne dans la chambre ; aussitôt les yeux brûlants se fixèrent sur la marâtre et ses filles, les suivant partout. En vain tentaient-elles de fuir ou de se cacher, les yeux les poursuivaient et avant l?aube il n?en resta que cendres ; seule Aïcha n?avait aucun mal. Au matin, elle enterra le crâne, ferma la maison et s?en alla en ville où une vieille femme la recueillit en attendant le retour de son père. Un jour, Aïcha dit à la vieille : «Je m?ennuie à ne rien faire, grand-mère ! Achète-moi du beau lin, je vais le filer.» La vieille lui apporta du lin et Aïcha se mit au travail. Le fil s?étire sous ses mains, fin et solide. Elle eut vite fini de filer, voulut se mettre à tisser, mais aucun métier n?était assez fin pour son fil. C?est encore sa poupée qui l?aida, qui lui fabriqua un beau métier. Aïcha se remit à l?ouvrage et à la fin de l?hiver la toile était tissée, si mince, si fine qu?on aurait pu la faire passer par le chas d?une aiguille ! Au printemps on fit blanchir la toile, et Aïcha dit à la vieille femme : «Va au marché, grand-mère. Vends cette toile et garde l?argent.» Mais la vieille s?écria : «Tu n?y songes pas, ma fille ! Une telle marchandise je vais la porter chez le roi.» Elle s?installa devant le palais, commença à aller et venir à côté des fenêtres. Le roi la remarqua et l?appela : ?Que fais-tu là, bonne vieille ? Que veux-tu ? ? Je t?apporte une denrée rare, comme Votre Majesté n?est pas près d?en voir. Le roi fit entrer la vieille et s?émerveilla de la toile : ? Combien en demandes-tu, bonne vieille ? ? Une toile pareille n?a pas de prix ! Nul ne peut l?acheter, le roi seul peut la porter. Je te l?offre en présent ! Le roi remercia la vieille qui partit, chargée de cadeaux. Il donna la toile à ses tailleurs pour qu?ils lui en fassent des chemises. Ces chemises, ils les coupèrent, mais pour ce qui est de les coudre rien à faire ! Ni tailleurs ni lingères n?osaient ?uvrer une toile aussi fine. Le roi impatient, envoya chercher la vieille femme et dit : ? Puisque tu as su tisser la toile, tu sauras coudre mes chemises ! ? Cette toile ne sort pas de mes mains. Ma fille adoptive l?a filée et tissée. ? Eh bien, elle n?a qu?à coudre mes chemises ! Quand la vieille lui rapporta l?affaire Aïcha sourit : ? Je me doutais bien que c?était un travail pour mes mains ! Et elle se mit à coudre ; la douzaine de chemises fut prête en un rien de temps. La vieille les emporta chez le roi et Aïcha, qui avait son idée, se baigna, se peigna, s?habilla richement et s?installa devant la fenêtre. Peu après elle vit arriver un envoyé du roi qui dit à la vieille : ? Où est cette habile couturière ? Sa Majesté veut la récompenser de ses mains. Aïcha se rendit au palais. Et quand elle entra, quand le roi la regarda, il en tomba amoureux sur-le-champ : ? Je ne te laisserai pas partir, ma douce beauté ! Sois ma femme ! Le roi prit par la main Aïcha la-très-belle, la fit asseoir à ses côtés et on célébra leurs noces sans plus tarder. Bientôt le père de Aïcha revint de voyage, il fut tout heureux du bonheur de sa fille et resta vivre près d?elle, la vieille femme demeura aussi avec eux. Et toute sa vie la reine Aïcha porta sa poupée sur elle, dans sa poche.