II était une fois un marchand qui avait une fille unique, Vassilisa la Belle. Sa femme mourut alors que la petite allait avoir huit ans. Sentant approcher sa fin, la mère l'appela, prit une petite poupée cachée sous ses draps et dit à Vassilisa : — Ecoute mes dernières paroles, obéis à mes dernières volontés. Je te donne cette poupée avec ma bénédiction maternelle. Garde-la, ne la montre à personne. Si tu es dans la peine, si quelque mal t'advient, offre à manger à ta poupée et demande-lui conseil. Elle t'aidera dans le malheur. La femme du marchand embrassa sa fille et mourut. Le veuf se désola comme il convient, puis songea à se remarier. Il choisit une femme pas très jeune, veuve comme lui, avec deux filles de l'âge de la sienne : une bonne ménagère, s'est-il dit, et mère de famille avisée. Il l'épousa donc. Mais la femme et ses filles étaient jalouses de Vassilisa. Elles la tourmentaient, de besogne l'accablaient, pour que le vent et le soleil la fassent noircir, que le travail la fasse dépérir. Mais Vassilisa supportait tout sans se plaindre et devenait chaque jour plus belle, chaque jour plus blanche et rosée, alors que la marâtre et ses filles qui ne bougeaient pas, ne faisaient rien de leurs dix doigts, maigrissaient de dépit, jaunissaient d'envie. Ce qu'elles ne savaient pas, c'est que sa poupée aidait Vassilisa. Le soir, quand tout le monde s'endormait, la jeune fille s'enfermait dans son appentis, servait à manger à sa poupée et lui racontait ses malheurs : «Petite poupée, mange à ta faim, écoute mes peines-chagrins ! Triste est la maison de mon père, la méchante marâtre veut ma perte.» La poupée mangeait, puis elle consolait Vassilisa, la conseillait et au matin faisait tout le travail à sa place. Vassilisa se repose à la fraîcheur, cueille des fleurs, et pendant ce temps l'eau est puisée, les choux arrosés, le potager sarclé, le feu allumé. Et la jeune fille choyait sa poupée, lui gardait les meilleurs morceaux. Plus Vassilisa grandissait, plus elle embellissait et plus sa marâtre la haïssait. Un jour le marchand dut partir en voyage pour longtemps. La marâtre s'en alla habiter une maison à l'orée de la forêt. Dans cette forêt vivait Baba-Yaga, la vieille sorcière. Elle ne laissait personne approcher de son domaine et croquait les gens comme des poulets. Pour se débarrasser de Vassilisa, sa marâtre l'envoyait tout le temps dans la forêt chercher ceci, apporter cela. Mais la jeune fille revenait saine et sauve, sa poupée la guidait, l'éloignait de la maison de Baba-Yaga. L'automne vint.. Dehors, il faisait sombre, il pleuvait, le vent hurlait : c'était déjà la fin de l'automne. Durant les longues soirées les filles travaillaient : l'une à faire de la dentelle, l'autre à tricoter des bas et Vassilisa à filer le lin. La marâtre leur donna la tâche pour la nuit et se coucha, ne laissant qu'une chandelle allumée pour les travailleuses. L'une de ses filles fit mine de moucher la chandelle et l'éteignit, comme sans faire exprès. Et de s'exclamer : — Quel malheur ! L'ouvrage n'est pas terminé et il n'y a pas un tison dans la maison. Il faut aller demander du feu à Baba-Yaga ! Qui va y aller ? — Pas moi, dit la dentellière. Avec mes épingles, j'y vois clair ! — Ni moi, dit la tricoteuse. Mes aiguilles brillent, j'y vois bien. Et toutes les deux s'en prirent à Vassilisa : — C'est à toi d'aller chercher du feu chez Baba-Yaga !