On serait en droit d'attendre des auteurs chrétiens une narration authentique, claire et complète de la vie de Jésus. Or, du texte de son Message, il n'en reste rien. Il y a bien les Evangiles, mais ce sont des biographies, non une doctrine homogène comme le Pentateuque ou le Coran. Il y a certes, dans ces biographies, des citations de paroles attribuées à Jésus, dont l'ensemble ne présente pas trop d'incohérence. Mais rien ne prouve que ces paroles étaient vraiment de Jésus, car rien n'est plus sujet à caution que les propos qu'on fait tenir à quelqu'un disparu des dizaines d'années auparavant. Toutes les réserves sont permises. Composées plus de soixante-dix ans après le rappel de Jésus à Dieu, ces biographies appartiennent à l'hagiographie, non à l'histoire. Si elles reflètent un fond historique, ce fonds manque d'unité, car elles révèlent deux narrations indépendantes l'une de l'autre, sauf dans les miracles et dans tout ce qui est merveilleux ou anachronique la narration des synoptiques (Evangiles de Marc, Matthieu et Luc) d'une part, et d'autre part, celle de Jean. Mais ni l'une ni l'autre ne fournissent une information suffisante sur les dimensions et l'enseignement fulgurant d'un Prophète exceptionnel. L'une et l'autre s'avèrent, au regard de l'historien impartial, comme un tissu d'assertions peu compatibles avec le simple bon sens. L'histoire a ses exigences méthodiques et référentielles, sinon elle serait une simple œuvre d'imagination. Selon les deux versions, «Jésus naquit selon la chair» (?) par une «opération du Saint-Esprit» (?!) d'une «vierge appelée Marie, originaire de Cana, sous le règne d'Auguste, six mois après la naissance de Jean-Baptiste, à Bethléem, dans une étable. Dès qu'il fut né, les mages de l'Orient vinrent l'adorer, conduits par une étoile miraculeuse», etc. Essayons de comprendre le passage «la naissance selon la chair» qui laisse sous-entendre une incarnation de l'Esprit-Saint en Marie et sa résurgence selon les lois naturelles de la maternité, ainsi que le dessein arbitrairement arrêté de transformer, par le jeu des mots, une filiation spirituelle en une filiation physique. Dieu se serait fait homme, n'ayant sans doute pas pu trouver un autre animal plus intéressant que celui qui, selon la doctrine chrétienne elle-même, devait le crucifier pour être sauvé par Lui. Marie s'appelait Maryam. La déformation des noms bibliques est, dans le christianisme érigée, pour des raisons qui ne sont ni claires ni nécessaires, en principe général de patronymie valable : Yashû devint Jésus, Kefas, Pierre ; Yahya, Jean ; Yaâkoub, Jacques ; Saül, Paul. Mais d'où vient qu'on le fasse naître à Bethléem, alors que sa mère et toute sa famille vivaient à Nazareth ? C'est pour faire de lui, contre toute vraisemblance, un messager déjà annoncé dans l'Ancien Testament, par référence à Michée qui dit que le Messie naîtrait à Bethléem. Les raisons invoquées à l'appui de cette assertion ? Son appartenance ethnique à David et une opération cadastrale imposant aux gens de se faire recenser dans les villes et villages où leurs ancêtres étaient nés. Or, rien ne prouvait alors, comme rien ne prouve aujourd'hui qu'il était de la race de David ; et en eût-il été qu'il semble contraire à la législation romaine d'imposer aux gens de se faire recenser pour les besoins du fisc, en des lieux que leurs ancêtres avaient quitté depuis plus de mille deux cents ans ! Le recensement en question décidé par Qirinius, légat impérial, auquel l'hagiographie chrétienne rattache l'histoire du voyage de Marie et de Joseph vers Bethléem et la naissance de Jésus dans une étable, eut lieu plus de dix ans après cette naissance, puisque même en faisant abstraction de ce qu'il y a d'hypothétique et d'incertain dans l'établissement de l'ère chrétienne par Denys le Petit, six siècles plus tard, Jésus n'est pas né cette année-là. La mort d'Hérode (759 de l'ère romaine) qu'on considère comme point de repère, permet de dater la naissance de Jésus en l'année 750 de Rome et donc de quatre ans avant l'année 1 de l'ère chrétienne. Qirinius n'imposa le recensement en question qu'après la révocation d'Archelaüs, c'est-à-dire dix ans après la mort d'Hérode. Au surplus, tout au long de sa vie, Jésus fut nommé le Nazaréen, c'est-à-dire le natif de Nazareth et non point de Bethléem. (à suivre...)