Dans un lieu retiré vivait une jeune fille avec ses sept frères. Les sept frères, qui étaient de grands chasseurs, passaient le plus clair de leur temps dans la forêt. La jeune fille demeurait à la maison où elle avait à charge le ménage. Elle n'avait personne pour lui tenir compagnie. Son unique compagne était une petite chatte qui n'arrêtait pas de jouer avec une fève sèche. Un jour, par taquinerie, la jeune fille vola à la chatte sa fève et la croqua en riant. La chatte s'en offusqua, exprima son indignation par de longs miaulements, puis somma la jeune fille de lui restituer sa fève sur-le-champ, sinon elle urinerait dans l'âtre et éteindrait l'unique feu de la maison. Mais, pourquoi te mets-tu dans cet état ? lui dit la jeune fille, conciliante. Je vais t'apporter tout de suite une fève, et même dix si tu veux. J'en ai un sac plein. Non, rétorqua la chatte. C'est ma fève que je veux, celle que tu m'as volée, et non une autre. — Mais, comment faire ? dit la jeune fille, implorante. Ta fève, je l'ai mangée ; elle est dans mon ventre. Je ne pourrai pas te la rendre, mais seulement la remplacer par une autre fève. Sois raisonnable ! La chatte ne voulut rien entendre. Devant l'impuissance de la jeune fille à lui restituer sa fève, elle pissa dans l'âtre et éteignit l'unique feu de la maison. La jeune fille, désespérée, pleura toutes les larmes de son corps. Car comment faire, à présent, pour ranimer le feu afin de faire cuire le repas de ses sept frères. A la maison, il n'y avait point d'allumettes et, à l'entour, point de voisins à qui emprunter une braise. Enfin, elle sécha ses larmes, prit une écuelle et sortit. Elle se mit à errer à travers la campagne dans l'espoir de rencontrer une demeure charitable pourvue de feu. Elle marcha longtemps avant d'apercevoir à l'horizon une mince volute de fumée. A cette vue, son cœur tressaillit de bonheur. Elle accéléra le pas, courut et bientôt atteignit la maison d'où s'échappait la fumée. Elle s'approcha de la porte et appela les propriétaires. — Que désires-tu ? lui fit écho de l'intérieur une voix bourrue. C'était la voix de l'ogre, car la maison était propriété de l'ogre. — Je désire une petite braise, mon Seigneur ; car ma maison est sans feu en ce moment, répondit la jeune fille. — Que désires-tu ? Le tamis ? Une braise, s'il te plaît, pour ranimer mon feu. — C'est la casserole que tu veux ? Non, mon Seigneur, seulement une braise. — Le moulin à bras ? — Une braise, rien qu'une braise. Je n'ai plus de feu chez moi. L'ogre ne faisait la sourde oreille que pour gagner du temps ; car il était en train de faire rougir le tisonnier. Enfin, lorsque le tisonnier devint incandescent, il cessa de jouer au sourd pour convier la jeune fille à venir prendre une braise. La jeune fille poussa la porte et entra. Elle trouva l'ogre assis au coin du feu. ll était vêtu d'une peau d'âne, la tête enturbannée de tripes d'âne et occupé à rôtir une carcasse d'âne. En reconnaissant l'ogre, la jeune fille s'empressa de rouler une braise dans son écuelle et de rebrousser chemin. L'ogre la laissa faire, mais, lorsqu'elle fut sur le point de franchir le seuil, il la frappa au talon avec le tisonnier brûlant et la brûla. La jeune fille se mit à courir et l'ogre ne jugea pas utile de la poursuivre ; car il était sûr de pouvoir la retrouver à tout instant en se donnant seulement la peine de suivre les traces de sang laissées par la blessure qu'il venait de lui occasionner. (à suivre...)