"Gel" Onze ans plus tôt, jour pour jour, Boumaârafi assassinait le président Boudiaf. Condamné à mort, il attend toujours son exécution. Il n?est pas le seul dans ce cas puisque les peines capitales continuent à être prononcées, la dernière remontant au 21 juin dernier, sans être exécutées. Suspendus entre la vie et la mort, ils sont nombreux à vivre une longue attente dans les couloirs de Serkadji, El-Harrach, Lambèse et ailleurs. La longue attente est d?autant plus invivable qu?elle est sans fin. Qu?ils soient incriminés pour des affaires de droit commun ou de terrorisme, les condamnés à mort continuent à occuper leur cellule dans l?ignorance totale de leur devenir. Les heures, les jours et les semaines s?allongent et s?étirent pour eux. Et ils ne savent s?ils doivent se préparer à mourir ou bien à s?adapter à la vie en cellule. Cela fait presque dix ans que les condamnations à mort sont gelées. Prononcées, elles ne sont plus appliquées. Comme il n?existe aucun texte portant le gel des exécutions, le vide juridique est souvent contourné. Ainsi, que ce soit dans les affaires de droit commun ou celles liées au terrorisme, les sentences sont presque automatiquement commuées, après appel, en condamnations à perpétuité. Mais il arrive également, moins souvent peut-être, que les condamnations à mort soient maintenues même après l?introduction des recours. Ceux contre qui le verdict suprême a été prononcé sont alors conduits en prison pour affronter la longue attente d?une grâce présidentielle qui ne vient pas toujours. Il est clair que la situation de ces prisonniers est pire que si la date de leur exécution était connue. Mais au fait, combien sont-ils ? Difficile de le savoir : avocats et magistrats ne disposent d?aucune statistique, le ministère de la Justice impose des démarches bureaucratiques longues et ardues et aux résultats incertains. Quant à la Ligue des droits de l?Homme ?ayant fait de l?abolition de la peine de mort son cheval de bataille? dernier recours pour avoir des données précises, elle se révèle ne disposer d?aucune documentation. «Toutes ses archives ayant été volées», selon ses membres. Autre inconnue autour de laquelle l?on doit se contenter de supputations : les raisons du gel de l?exécution de la peine de mort. Si d?aucuns y voient une tentative du pouvoir de redorer le blason de l?Algérie en matière de respect des droits de l?Homme sur le plan international, d?autres évoquent un deal conclu, en 1994, entre le pouvoir d?une part, Abassi et Benhadj de l?autre. Deal en faveur des islamistes et dont ont fini par bénéficier les détenus de droit commun? Aujourd?hui, la question est soumise à un débat mis sur le tapis par Bouteflika qui, à partir de Bruxelles, a lancé un appel, début juin, pour l?abolition de la peine capitale. Ce qui induit la sollicitation, dans un avenir plus ou moins proche, de la société qui sera appelée à se prononcer pour ou contre la peine capitale. En attendant, les partis politiques observent le wait and see même s?ils sont d?ores et déjà partagés sur cette question. Reste que certaines voix s?élèvent pour l?abolition de la peine de mort, car insistent elles « la majorité des pays du monde l?a fait et a ratifié le protocole de 1989. L?Algérie a d?autant de raisons de le faire que son appareil judiciaire est loin d?être performant et son système loin d?être autonome.»