Passion Tenant l?objet des deux mains, il l?embrasserait presque. Assis sur une vieille chaise devant son magasin, Nacer, la quarantaine, gratte avec une lame une pièce d?un vieux lit. Il ne sait plus quand il a commencé le métier d?antiquaire. «Je l?ai hérité de mon père qui, lui, l?a hérité de mon grand-père.» Ce dont il est sûr, c?est que son amour pour ce métier n?a pas d?égal. Sa journée, il nous la raconte avec des yeux qui brillent tant son métier le passionne. «Tous les matins, je fais le tour des brocanteurs cherchant l?objet qui m?attend.» La balade peut prendre des heures, mais ces moments-là il les affectionne. Son plaisir, c?est de traquer l?objet jusqu'à le trouver. «Dès que je le vois, tout mon corps frissonne.» Il aime aussi les moments de négociation avec le brocanteur : «Je traite avec la ferme intention de repartir avec l?objet.» Une fois acquis, celui-ci est souvent dans un piteux état. Vient alors le moment de le restaurer. «Je le travaille, je le ressuscite lui ajoutant jusqu?à un siècle de vie.» Ensuite, l?objet est exposé au magasin attendant son nouveau propriétaire. Chétif, avec une moustache grisonnante, Nacer parle d?une voix calme, à peine audible, mais avec des termes directs. «On ne vit pas de ce commerce, on le fait juste par amour.» Pour vivre, selon Nacer, il faut vendre des pizzas et c?est justement ce qu?il fait, car il possède une petite pizzeria. «J?avoue que c?est pour vivre, mais ma passion ce sont les vieux objets.» Son échoppe d?antiquaire, il l?ouvre seulement l?après-midi. On y trouve de tout. Les objets sont bien rangés et bien astiqués. De temps à autre, une personne entre, regarde puis repart. Parfois, on ne lui demande même pas le prix. D?ailleurs, Nacer n?y accorde plus d?importance. Il est très occupé à griffer une partie d?un vieux lit sur un trottoir du Ruisseau. Les voitures passent près de lui avec un ballet incessant de piétons. «C?est une belle pièce.» Tenant fermement l?objet avec ses deux mains, il l?embrasserait presque. «Regardez le pied comment il a été taillé, suivez la découpe et les motifs incrustés sur le bois, c?est un travail de maître.» L?objet en question est un lit style Louis XV. «Cette pièce date de la fin du XVIIIe siècle.» A travers ce genre de belles pièces, Nacer a appris à respecter davantage les anciens. «Les maîtres», comme il les appelle, faisaient un travail qu?on n?arrive plus à égaler. C?est ce même respect que Nacer a transmis à ses deux fils. Il voit en eux les dignes héritiers d?un métier «noble et instructif».