Cela l'a pris comme ça, tout d'un coup, subitement : il veut une chaise. En fait, il la voulait depuis longtemps, mais cette fois-ci, il passe à l'action, il va l'acheter. Il est donc en quête d'une chaise qui le mette à l'aise, qui l'enveloppe, qui le borde, qui le détende, qui le prélasse… Gharour a fait tous les supermarchés, les souks et autres magasins spécialisés de la ville. Des chaises à la maison, il en a plusieurs et de toutes les formes : fauteuils de salon, chaise en bois, de velours, de tapisserie, chaise de paille, chaise cannée, chaise rembourrée, chaise métallique, chaise de cuisine, de salon, de jardin, chaise basse… Avec cela, il passe même pour un collectionneur de chaises. Mais, et c'est ce qui lui manque sûrement, il cherche une chaise pliante, qu'il mettrait dans la malle de sa voiture, comme ça, quand il sera en rase campagne et qu'il aurait envie de s'arrêter, il la sortira, la dépliera et se mettra dessus. Des chaises, il en a plusieurs à la maison et au bureau. Il doit faire attention, car son chef est devenu fou depuis qu'on l'a nommé à ce poste et assis sur une chaise-président, il donne des ordres irraisonnées, irréalisables ! On aurait dit que la chaise le grise, et il ne sait plus ce qu'il dit ni ce qu'il fait. La preuve, il le prend, lui, le grand travailleur, pour un fainéant ! Enfin, il l'a trouvée, la chaise. « On dirait qu'elle t'attendait », lui dit le vendeur de vieilleries, chez qui il l'a découverte. « Oui, on dirait… », bredouille Gharour, en fixant, l'œil émerillonné, une chaise dont le dossier est une solide toile bleu azur, et le reste, l'armature est en fer. La scrutant sous toutes les coutures, devant sa femme et ses deux enfants ébahis, il répète : « elle est bonne, elle est très bonne… pour une occasion, elle est presque toute neuve… » Pendant tout ce temps, sa petite famille était, elle aussi, occupée par ces recherches. Tout emportée par le désir, l'impatience de Gharour, elle n'a eu de répit que le jour où la chaise a été « dégotée ». On poussa un soupir de soulagement, la joie était totale, complète. La joie était tellement forte, qu'il leur propose d'aller, tout de suite, se promener à la campagne pour essayer la chaise. Tous s'engouffrent dans la voiture, quittent la boutique de brocantes et vont en direction de la montagne. A quelques kilomètres au sud de la ville, la route court à flanc de montagnes. Passé quelques virages, Gharour se gare sur le bas-côté gauche, en faisant attention au ravin. La femme et les enfants descendent. Pendant ce temps, il ouvre la malle, en retire doucement la chaise, la déplie et la pose sur l'herbe tapissant le bas-côté. « Papa, laisse-moi l'essayer, moi le premier ! » lance le petit enfant, vivant allégrement la chose et bondissant d'impatience. « Non, moi, papa… », s'écrie l'aîné. Mais, déjà, le père s'était déjà assis et se mit à étirer les bras tendus vers l'arrière. Il continue à s'étirer, comme quand on se réveille, à s'étirer sensuellement en disant : « Ah ! que c'est bon, que c'est bon !… » mais, en un laps de temps, il culbute vers l'arrière et disparaît, comme happé par le ravin. Tenant un tapis, qu'elle s'apprête à étendre près de la chaise, pour s'asseoir avec les enfants, la femme et ces derniers restent comme tétanisés, l'air d'attendre qu'il reparaisse, n'ayant sous leurs yeux que la chaise dont les deux pieds arrière enfoncés dans la terre, et les deux autres de devant restés en l'air. Puis, se ressaisissant quelque peu, laissant tomber le tapis et donnant la main aux enfants, la femme s'approche du bord du ravin, essayant d'apercevoir son mari.