Trajet n Il est 8h du matin en ce mercredi. Un froid glacial balaie le fourgon Koléa-Attatba, dans un silence total. Dépassant Haouch Tili, Fatma s'arrête à Tektaka, un petit village rural avant Attatba, traverse la route et fonce directement vers un magasin d'alimentation générale. Avec son grand sac à main à l'épaule et chaussée de pantoufles, on la situe rapidement : une femme issue d'un milieu peu confortable. Originaire de Bou Ismail, elle est âgée de 39 ans, mais en paraît beaucoup plus. Notre dame réapparaît, un gros carton à la main. «C'est pour m'asseoir dessus», nous dira-t-elle en nous regardant avec assurance «car le sol est très dur et froid au souk ensa». Arrivée au souk, la jeune femme choisit une place. Elle ouvre son sac pour retirer une boîte de s'men pleine de bijoux en or 18 carats qu'elle a ramenés de chez des bijoutiers de Koléa et de Bou Ismaïl. Elle vend, depuis trois ans déjà, ces bijoux à crédit. «Ma devise est la confiance», dira-t-elle, en nous conjurant doucement de ne pas montrer aux femmes qu'elle nous connaissait par peur d'être prise pour une «moucharde». Fatma est divorcée .Elle a une fille au CEM à nourrir et à éduquer. Elle nous apprendra qu'elle habite un minable gourbi à Bou Ismaïl et nous invite à le voir. «Je suis couturière de formation avec un diplôme de haut niveau . Mais la fripe m'a cassée. Les bijoux sont ma seule chance depuis cinq ans de gagner vite de l'argent sans demander l'aumône et de subvenir aux besoins de ma fille pour combler pour elle le vide de l'absence de son père qui me battait à mort et d'avec lequel je suis divorcée», dira-t-elle. Fatma exprimera sa désolation de la méchanceté des gens «ils sont de plus en plus sans pitié. Au début, ici, au souk ensa, normalement une femme doit comprendre une femme. Mais je me suis imposée avec elles car j'étais la nouvelle et je les concurrençais mais j'ai été plus forte et j'ai eu le dessus» Voilà cinq femmes qui viennent les mains chargées de cabas ou de sachets. Les unes bien couvertes et prémunies contre le froid, les autres moins protégées. Elles commencent à déballer leurs marchandises et à les étaler sur les grillages du stade. Au menu : des vêtements pour femmes notamment de longues robes (jabate/gandouras), des habits pour enfants et des vêtements du stock américain froissés. Comme Fatma, trois autres vendeuses de bijoux se préparent à accueillir leurs clientes. Elles mettent leurs bijoux et guettent les premières venues ! D'autres, à coté, exposent des couvre- lits, des couvertures et quelques objets nécessaires aux futures mariées. Un peu plus loin, un petit garçon, quinze ans environ, vend des épinards. Et s'il n'a pas été chassé par les femmes c'est parce que «c'est un habitué du coin depuis son enfance. Il y venait souvent avec sa mère qui était, elle aussi, vendeuse.» Un jeune homme qui avait auparavant essayé de vendre du casher et des produits laitiers à proximité de souk ensa, a été chassé par les jeunes de la région nous a appris Nordine un jeune chômeur de 27 ans. «On veille sur ces femmes bien qu'on ne les connaisse pas. Elles sont en sécurité chez nous car c'est grâce à elles que nos mères et sœurs peuvent acheter ce qu'elles veulent», dira-t-il.