Vécu n Les anciennes recettes culinaires des Hauts-Plateaux, du Hodna et d'une grande partie du sud-est algérien, tendent à disparaître des menus des familles bordjiennes. Des personnes âgées, ceux qui ont eu à connaître pendant leur enfance, des plats qu'ils ne retrouvent plus sur leur table, regrettent, aujourd'hui, une si navrante disparition. C'est le cas de la «hassoua», ce plat typiquement paysan de la région des Bibans, autrefois considéré comme le repas «consistant» du pauvre avant de devenir un mets savoureux très apprécié, surtout durant l'hiver. «Oui, ce plat spaghetti-maison, fait main avec de la semoule de blé a pratiquement disparu des cuisines des familles citadines sauf dans les campagnes», confirme Khalti Taous, une grand-mère âgée de 70 ans, qui connaît pratiquement toutes les anciennes recettes bordjiennes. «Autrefois, quand le garde-manger était vide, en période de disette, la hassoua nous tirait d'affaire», affirme la septuagénaire, précisant qu'en plus de son «caractère nourrissant, ce plat était aussi utilisé pour soigner les rhumes et les coups de froid, ou pour redonner des forces aux femmes après l'accouchement». La préparation de la «hassoua» est «très simple», ajoute Khalti Taous, «de mon temps, toutes les jeunes filles devaient apprendre sa recette avant de se marier.» Celle-ci est, en fait, note-t-on, une pâte de semoule de blé, bien pétrie à la main avant d'être étalée et aplatie avec un rouleau — une pierre polie — et feuilletée sur plusieurs couches. Les feuilles de pâte ainsi obtenues sont saupoudrées de farine et coupées en fines lamelles, avant d'être plongées dans une sauce préparée avec des ingrédients naturels, tirés directement du potager du fellah. La sauce, salée et poivrée, est concoctée avec des tomates fraîches, de l'ail, des oignons, du poivre et de la graisse de mouton ou de veau. Lorsqu'elle sert de «remède», la «hassoua» est agrémentée d'autres ingrédients tels que des fèves séchées, des lentilles, des abricots secs ou encore des herbes comme les épinards que Khalti Taous qualifie de «radicales» pour «aider les femmes qui allaitent». Durant les années quarante, les paysans fortunés ajoutaient à cette préparation traditionnelle un morceau de viande sèche (El-qadid). L'origine du plat est difficile à établir au regard du nombre de civilisations qui sont passées par la région des Biban. Certains, cependant, évoquent une provenance romaine à cause, sans doute, de la ressemblance de la «hassoua» avec le plat sacro-saint des transalpins : les spaghetti. A vrai dire, dira Mme Taous avec un brin de nostalgie dans la voix, «la hassoua» est tout simplement victime de l'émancipation de la femme d'aujourd'hui qui n'a plus le temps de se consacrer aux anciennes recettes qui prennent du temps et de l'énergie». Tout sourire, elle terminera sur une note d'humour en affirmant que la «hassoua» de ses ancêtres, «est pourtant meilleure que les omelettes-frites que les jeunes d'aujourd'hui se disputent !»