Selon diverses statistiques, les Algériens consommeraient près de 26 kilogrammes de sucre par personne et par an. De quoi s'étonner. Toutefois, à regarder de plus près les habitudes alimentaires de nos concitoyens, l'on se rend compte que les chiffres avancés sont amplement justifiés. Nombreux sont ceux qui mettent deux, trois (parfois même plus) cuillerées à café de sucre dans quelques millilitres de café. L'on considère qu'une table est dégarnie si le repas n'est pas agrémenté de limonade. Certains vont même jusqu'à ajouter du sucre à des produits laitiers censés être tout ce qu'il y a de plus light. Et l'orgie calorique ne s'arrête évidemment pas à cette douceur cristallisée. Car il est impensable qu'en accompagnement du café ou du thé, l'on n'ingurgite pas une pâtisserie, une part de tarte, des biscuits ou des confiseries traditionnelles. Toutefois, l'on n'est pas sans savoir que les prix du kilogramme de sucre, ont, ces dernières semaines, flambé. Et les premiers à répercuter cette progression des cours mondiaux sont, bien évidemment, les boulangers et autres pâtissiers. « Nous avons été obligés d'augmenter les prix des gâteaux », confie un confiseur. Et la différence est, en général, de 5 DA pour chaque « pièce », parfois même plus dans les échoppes « haut de gamme ». Quant aux prix des grandes tartes et autres génoises, ils ont augmenté de près de 100 DA. Y a-t-il eu une incidence sur la ruée, parfois frénétique, des acheteurs ? « Non, du tout », rétorque en se grattant la tête un pâtissier. « Les Algériens raffolent des gâteaux. C'est parfois même le seul luxe qu'ils se permettent. Et, de nos jours, 5 DA de plus ou de moins… », ajoute-t-il. Du côté des ménagères, l'on avoue espérer que ces tendances haussières ne soient que passagères. Et sinon ? « Eh bien, nous allons évidemment diminuer notre consommation de sucre cristallisé », explique une quadragénaire qui fait ses emplettes. « Faire moins de gâteaux, mettre moins de sucre dans les boissons », poursuit-elle. Sa fille continue : « Et puis, cela dépend aussi des répercussions sur les prix des sucreries vendues prêtes à consommer. Et dans ce cas là, freiner nos achats sera difficile. » Mais comment expliquer cet attachement, cette addiction pour la « sensation sucrée » ? « Il est vrai que pour nous, le bonheur est surtout dans l'assiette et dans la bouche », d'assurer une jeune femme. Traditionnellement sucré Nos fêtes sont avant tout culinaires et gastronomiques. A chaque occasion, la constante de la célébration est, évidemment, le plateau de sucreries que l'on présente. « Et c'est surtout synonyme de réussite sociale. Plus on veut se montrer comme étant aisé, plus les mets et les gâteaux sont nombreux et variés et plus ils sont sucrés », affirme une mère de famille. « C'est les Orientaux : tout en douceur, en mielleux, en volupté, en rondeur, en sucré. C'est civilisationnel. Pour nous, le verbe est mielleux, les mets sucrés et les femmes rondes ! », de s'amuser un sexagénaire. « Pas tout à fait faux », commente une nutritionniste. « Traditionnellement et culturellement, nous sommes, dès notre plus tendre enfance, conditionnés à aimer le goût sucré. Lorsqu'un bébé pleure, on lui donne de l'eau sucrée pour le calmer ou le consoler », analyse-t-elle. Et, devenus plus grands, les douceurs ont gardé, pour ces éternels enfants « élevés » à la friandise, leur vertu consolatrice et leur symbolique « procuratrice de plaisir ». Ce qui explique nos fringales à la moindre contrariété. De ce fait, si les Algériens sont si portés sur la chose, c'est surtout parce qu'ils sont perpétuellement stressés, nerveux, préoccupés, déprimés mais aussi inactifs. Ils cherchent, dans les gâteaux, le chocolat ou les boissons, du réconfort, de l'apaisement et de la satisfaction. La béatitude de l'enfance. La mémoire génétique Cependant, ce qui est devenu un réflexe pavlovien pour nous s'explique même scientifiquement. La consommation de sucre stimulerait certaines zones du cerveau associées à la récompense et au plaisir. De même, une grande absorption de « poudre blanche » exciterait les mêmes zones du cerveau que celles excitées par les drogues, les « récepteurs opioïdes ». « Le corps, le cerveau, les neurones ont besoin de sucre pour fonctionner. D'où ces envies irrépressibles que l'on a parfois d'une friandise », explique la nutritionniste. Mais pas à l'excès, comme chez nous. « C'est la faute à nos ancêtres », affirment certains spécialistes. Encore une théorie à la Freud, qui imputerait nos égarements à nos parents ? « Non, pas tout à fait », de s'expliquer une nutritionniste. « Pour faire simple, nos gènes gardent les traces de l'hygiène de vie de nos aïeux. Cette mémoire génétique se souvient par exemple, des famines vécues par nos arrière-grands-parents », avance-t-elle. De ce fait, notre métabolisme, façonné en fonction des privations nombreuses dont ont eu à pâtir les « anciens », réclame, en compensation, beaucoup de sucre. Il est plus récepteur et aime cela, pour le plus grand bonheur de nos gènes. Mais pas tout à fait. Car cette mémoire génétique, cette fois parce qu'elle n'est pas habituée à cette débauche calorique, nous rend plus vulnérables aux maladies « alimentaires ». D'où le nombre élevé de personnes atteintes de diabète, d'obésité, de problèmes de reins, de foie et autres. « Toutefois, de nos jours, il y a une plus grande sensibilisation à ce sujet et de plus en plus de gens préfèrent consommer des édulcorants, par exemple, et les parents bannissent les friandises en abondance », explique la nutritionniste. Un instituteur à la retraite est lui aussi optimiste quant à cette folie sucrière. Mais pour d'autres raisons. « Le fait est que, il y a de cela quelques années, l'on ne trouvait pas grand-chose dans les rayons des épiceries. Il n'y avait pas toutes ces sortes de biscuits, de friandises et de boissons. Les gens découvraient cela et s'en donnaient à cœur joie », d'analyser le vieux monsieur. « Les jeunes y sont habitués maintenant. Et ils s'en lasseront d'eux-mêmes », conclut-il.