Epousailles n F'tima, fille de Beni Abbès, à peine nubile, fait le voyage pour Kenadssa où elle se rend chez son futur époux. Quand on fit descendre F'tima, la fille des Beni Abbès, de son baldaquin, et qu'elle glissa ses deux jambes sur les flancs du chameau couché sur le sable, les pattes repliées, on ne vit d'elle que ses petits pieds chaussés de mules de cuir de Ghardaïa, finement travaillées dans une peau claire. Ses talons étaient teints de henné noir avec de petits pointillés qui montaient jusqu'aux chevilles entourées d'un lourd «khalkhal» d'argent ciselé. Tout le reste de son corps était recouvert d'un grand voile de soie blanche rayée, cadeau de son oncle maternel qui l'avait ramené de Djerba à son retour de La Mecque. Aussitôt, un homme, qui était appuyé contre l'un des palmiers ombrageant l'entrée des ksour de Kenadsa, s'approcha, faisant jouer les muscles de ses bras et de ses épaules comme s'il avait longtemps attendu les arrivants. Il se mit à genoux devant la jeune fille et lui présenta son dos. Elle y monta, et l'homme se releva sans effort, car F'tima était menue et encore très jeune. Elle n'avait pas encore quatorze ans. Le porteur, un Noir à la forte corpulence, marchait lentement à travers les ruelles noyées dans l'ombre des hauts murs recouverts de chaux. Derrière eux suivaient les deux servantes sénégalaises de la jeune fille dans de larges robes aux couleurs vives, les cheveux tirés en arrière par de lourdes nattes frisées agrémentées de pompons multicolores, roulant des yeux étonnés par le spectacle des ksour serrés les uns contre les autres, laissant entre eux des passages si étroits qu'elles se sentaient étouffer, elles qui étaient habituées à l'immensité du désert de Beni Abbès et de Taghit. Pourtant, les passants ne se différenciaient guère des «rahal» qu'elles avaient l'habitude de voir, avec leurs robes de laine écrue ou teintes en noir, ocre ou marron, aux manches larges retenues à la taille par de légères ceintures en cuir de chameau. Les pans de leurs lourds turbans noirs retombaient sur leur poitrine. Lorsque tous allaient pieds nus sur le sable des ruelles, l'on reconnaissait les riches marchands ou les hommes de qualité à leurs sandales de peau et leurs gilets agrémentés de motifs berbères multicolores. Derrière les servantes, deux porteurs fermaient la marche, courbés sous le poids de deux lourds coffres de bois contenant le trousseau de la mariée qu'on emmenait dans la demeure d'un notable de Kenadsa. Sous son voile opaque, F'tima, agrippée aux épaules du porteur, ne percevait que de vagues silhouettes qui la frôlaient. Des gouttes de sueur coulaient sur ses joues et se mêlaient à ses larmes… De temps à autre, elle fermait les yeux, revoyant le visage de sa mère, son regard douloureux, grimaçant comme si on lui avait arraché un morceau de sa propre chair, en voyant partir sa fille à peine nubile pour épouser un homme qu'elle n'avait jamais vu et dont on ne savait qu'une chose, c'est qu'il était aisé et tenait un rang important dans la société de Kenadsa… «Je te jure que je viendrai te voir à ton premier enfant. Sois une femme courageuse, ma fille, obéis à ton maître en toute chose. Méfie-toi de tes rivales ! Va ma fille, que Dieu te protège !» lui avait-elle murmuré entre deux sanglots. Les rivales, les trois premières épouses du notable, faisaient autant peur à F'tima que son futur époux, et son imagination allait bon train. «Comment sont-elles, comment vont-elles m'accueillir ? Et lui, à quoi ressemble-t-il ?» (à suivre...)