Hasard Hamoudi et Drifa sont déjà quinquagénaires, quand ils se rencontrent, par hasard, sur le pont suspendu de Constantine. Lui revenait d?une visite à l?hôpital où un parent venait de subir une opération, elle, recouverte de sa «mleya» noire, le visage caché derrière son «aâjar» blanc à dentelles, se rendait chez sa s?ur, à la cité Picasso. Il marche la tête légèrement baissée, comme à son habitude, les mains cachées dans sa kachabia, et au moment où ils se croisent, ils se regardent, et c?est ce regard qui va décider de leur avenir. Elle continue son chemin, en ralentissant le pas, lui se retourne, s?arrête, et fait demi-tour. Il la suit un bon moment, et quand elle sort du pont, il vient à sa hauteur, et lui dit simplement : ? Bonjour, ya «khti» Drifa ne répond pas tout de suite, et ils continuent à marcher côte à côte sur la route qui mène à la cité, puis elle lui répond : ? Bonjour ! Que me veux-tu ? ? Où vas-tu comme ça ? Et la conversation s?engage, amicale, entre ces deux personnes qui viennent juste de se connaître... Hamoudi, qui est mal marié à une femme dure et autoritaire, ouvre son c?ur à Drifa, depuis longtemps divorcée pour sa stérilité, et qui vit avec un de ses frères. Comme des adolescents, ils se fixent un rendez-vous près du «monument aux morts», pour que «mon frère et ma famille ne me voient pas», dit Drifa. Le lendemain, ils sont assis côte à côte dans un coin de verdure sur les hauteurs de la ville, et les jeunes couples qui les croisent, les prennent pour de vieux mariés venus respirer l?air pur et admirer le paysage extraordinaire de la ville qui s?étend à leurs pieds. C?est là que Drifa ôte son aâjar, et voyant son visage sans beauté, mais plein de douceur et de bonté, respirant la vie, Hamoudi tombe immédiatement amoureux. Drifa, de son côté, est subjuguée par cet homme, visiblement aisé et sûr de lui, plein d?attention sous son air bourru, renforcé par sa forte corpulence. Les sorties se succèdent et Hamoudi n?oublie jamais d?offrir de petits cadeaux à sa compagne, car il ne peut exprimer par les mots ce que ressent son c?ur. ? Mais pourquoi fais-tu tant de dépenses pour moi ? lui dit Drifa, étendant ses jambes sous sa mlaya, où brille un lourd «khelkhal» d?or. Car maintenant, elle devient très coquette, et elle a l?impression de vivre une seconde jeunesse, et Hamoudi aussi... Au bout de quelques mois, il dit à sa femme, qui vient de déposer devant lui le plateau du petit déjeuner : ? J?ai quelque chose à te dire, assieds-toi ! Messaouda, sa femme repose sur le lit la couverture qu?elle allait étendre sur la terrasse et, pleine d?étonnement, prend place à ses côtés, sans cesser de fixer son mari. ? Qu?y a-t-il ? Khir ! ? Je vais me marier, dit-il sans préambules. Il laisse un long moment passer puis continue : ? Je vais me remarier, je n?ai rien à te reprocher, sauf que tu n?as pas été capable de me donner un héritier ! Brusquement, un cri déchirant sort de la gorge de Messaouda, qui vient enfin de réaliser la terrible vérité. (à suivre...)