Quand Van Minh et son épouse Maï ont découvert qu'ils allaient avoir un bébé, ils se sont réjouis comme presque tous les parents du monde. Malgré la dureté de la vie, malgré leurs petits revenus. Maï a dit à son mari : — Allons consulter la vieille Lee Chang. Nous lui demanderons de nous dire quel avenir attend notre enfant. Et tout d'abord nous lui demanderons si elle prévoit que nous ayons une fille ou un garçon. Van Minh a fait la grimace. — Pourquoi chercher à connaître l'avenir ? Laissons les choses se faire. Si notre enfant doit être heureux, nous le verrons bien. Si la vieille nous prédit des malheurs, nous allons vivre dans l'angoisse perpétuelle en attendant des catastrophes qui n'arriveront peut-être jamais. Mais, là-bas comme ici, ce que femme veut... Les Van Minh se rendent donc chez la vieille sorcière qui vit seule au bout du village. Ils lui apportent un poulet et un sac de riz. La bouche édentée se met à parler : — Vous allez avoir un fils. Un bel enfant. Mais il est à la fois mort et vivant... Et il se regarde lui-même. On en parle dans les journaux... Il est célèbre... Il a un nom et il n'en a pas... Il a un numéro. C'est tout. En sortant de chez la vieille, Van Minh et Maï restent perplexes : — Alors, tu es contente ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Il est mort et vivant. Il se regarde lui-même... Il a un nom et un numéro. La vieille devient folle. Ou alors elle a trop bu d'alcool de riz. Maï doit reconnaître que les prédictions de la vieille lui font une curieuse impression. Et elle est un peu angoissée. Enfin, il ne lui reste plus que quatre mois à attendre... A voir le volume de son ventre, le garçon sera fort, c'est toujours ça ! Vient le moment de la naissance. L'accouchement se passe sans problème majeur. Van Minh en profite pour enfoncer le clou : — Alors, tu vois, cette pauvre vieille folle a dit n'importe quoi. Tout s'est bien passé et notre fils est en très bonne santé ! C'est vrai : le petit Tchen est un bel enfant. Le teint ambré, les cheveux noirs, les yeux bridés. Ses parents sont heureux et fiers de lui. Ils commencent à faire des projets pour son avenir : — Si nous avons assez d'argent pour lui payer des études, il pourrait devenir médecin ou ingénieur... — D'autant plus que l'astrologue du village a prédit, quand il est né, qu'on parlerait de lui dans les journaux ! Quand il atteint ses dix ans, Tchen se plaint de douleurs sourdes au ventre. On est loin de tout hôpital et surtout on ne dispose pas, à l'époque, du matériel sophistiqué que l'on connaît aujourd'hui. Le médecin du village, armé de son stéthoscope, procède à des examens et pose des questions : — Tu n'as pas mangé de fruits verts ? Tchen fait des grimaces. La douleur l'empêche de parler... — Tu n'as pas bu quelque chose de bizarre ? Nouvelle grimace. Tchen est un enfant sage. Il boit ce qu'on lui donne. Le docteur recommande des tisanes et dit : — Si dans quelques jours ça continue, on verra. Les douleurs de Tchen continuent, la chose est certaine. L'enfant qui, jusque-là, aimait partager les jeux et les espiègleries des enfants du village, passe de longues heures prostré dans son lit. Sa mère et ses petites sœurs se relaient à son chevet pour éponger son front mouillé de sueur et lui faire boire du thé amer. Quand le médecin revient quelques jours plus tard, il remarque : — C'est curieux, on dirait que son ventre est plus gonflé que d'habitude. J'espère qu'il ne fait pas d'occlusion intestinale. Ne lui donnez plus de riz pendant quelques jours, uniquement de la salade et des fibres. Les parents de Tchen interrogent celui-ci : — Tu ne t'es pas blessé avec des plantes épineuses ? Tu n'aurais pas été mordu par un serpent ? (à suivre...)