Nous sommes en 1954 et Augustin Veminelli est encore sous le charme du SénégaI où il est arrivé il y a six mois pour travailler dans l'exploitation des phosphates. Aujourd'hui, accompagné d'un ami africain, Alassane, il profite de quelques jours de congé pour découvrir l'intérieur du pays... La Jeep parcourt la savane et Augustin se laisse secouer par les creux et les bosses de la piste. Il est fasciné par les baobabs géants qui sont le symbole du pays. De loin en loin, des termitières grises servent de terrain de jeu à des singes turbulents et criards. — Où allons-nous, Alassane ? — On va visiter les «fils du caméléon». — C'est quoi, les «fils du caméléon» ? — Les Bassaris, au pied du Fouta-Djalon. Tu verras : ça change des gens de la ville. Les filles sont jolies et ils vivent encore pratiquement nus. Demain, il y a une cérémonie d'initiation des jeunes filles. ?a vaut le détour. Au bout de quelques heures de route, Augustin et Alassane arrivent à la limite d'un village. En y entrant, Augustin remarque un monticule de terre. Plantées dans le monticule, plusieurs flèches dont les pointes sont toutes tournées dans la même direction. — Alassane, qu'est-ce que c'est cette espèce de monument ? — ?a, ce n'est pas bon. Augustin sourit. Il manque d'expérience. Fils de rationaliste pur et dur, il ne croit ni à Dieu ni au diable. — Et ça, là-haut, suspendu dans l'arbre, c'est bon ou pas ? Alassane lève les yeux vers la branche qui intéresse Augustin : — Ne touche pas à ça, surtout. Tu pourrais attirer le mauvais sort sur toi ! Augustin arrête son geste. Il voulait simplement examiner plus soigneusement ce qui pend de la branche : — Bon, d'accord ! De toute façon, ça n'est pas très ragoûtant ! Ce qui pend de la branche, c'est une corne d'antilope, entourée d'un fil de coton... Rien de particulièrement artistique. Alassane, de toute évidence, prend la chose au sérieux : — C'est sûrement un «corté». — Un «corté» ? C'est quoi ? Alassane ne répond pas. Déjà, sur la place centrale du village, les jeunes filles qui doivent participer à l'initiation se réunissent. Leur peau couleur de chocolat, leurs ceintures brodées de perles multicolores, leurs colliers qui descendent jusqu'aux pagnes minuscules qui sont leur unique vêtement, tout est un enchantement pour l'œil. Les tam-tams ont entamé leur rythme qui agit directement sur les nerfs. Augustin s'assied sur une pierre : — Raconte-moi ce qu'est un «corté». On n'est pas à une minute près... Alassane hésite un peu : — Eh bien, voilà. Il y a environ un an, le vieil Abdou, un cousin de mon père, est mort, très âgé. Il a laissé toutes ses terres à son neveu Alisintoé selon la tradition. Mais Alisintoé ne s'intéresse plus à la vie villageoise. Depuis des années, il travaille dans une administration. C'est un homme de la ville. C'est Babacar, le fils d'Abdou, qui cultive le millet au village. Quand il se voit déposséder, il demande à son cousin de le laisser continuer à vivre sur l'exploitation. Mais Alisintoé ne veut rien savoir. Il répond : «Va-t'en. J'ai l'intention de vendre mon héritage. Tu n'as plus rien à faire ici.» Pendant des semaines, Babacar revient à la charge. Avec quoi va-t-il nourrir ses femmes et ses enfants ? Rien n'y fait, Alisintoé reste inflexible. Babacar n'a plus qu'une seule chose à faire. Et je crois bien qu'il l'a faite... — Oui, qu'est-ce qu'il a fait ? — Il est allé voir le sorcier et ils ont fait un «corté». — ?a se passe comment ? — Oh ! je ne sais pas exactement. En tout cas, le sorcier sacrifie un coq roux. Et il suspend la patte du coq à un arbre. Tiens, regarde, là, ce manguier. Tu vois la patte toute desséchée. Et la bouteille qui est accrochée à côté. (à suivre...)