En ce jour ensoleillé de juin 1996, Christiane se sent d'humeur pour des grands changements de printemps. Elle profite du calme du dimanche pour faire des projets. Sylvestre, son compagnon, est plongé dans la lecture de la presse sportive. Christiane feuillette le catalogue d'une grande maison de meubles : — Dis donc, Sylvestre, et si on s'offrait un canapé en cuir ? ?a fait des années que j'en ai envie. Tu as vu le catalogue de «Meublarama ?», ils font des promotions tout à fait intéressantes. Cuir de vachette, pleine peau. Il y en a un vert qui ferait très bien dans le salon. Sylvestre n'écoute pas vraiment. Il est passionné par un article sur les changements prévus dans l'équipe de l'Olympique de Marseille. ?a, c'est de l'information. Les histoires de canapé... Christiane attrape un stylo qui est là, tout près dans un pot de Vallauris. Elle saisit un bloc de papier quadrillé et commence à aligner les chiffres... — Bon : 15 790 francs pour le canapé. Deux fauteuils à 3 980 francs pièce, ça ferait... Christiane a commencé ses additions. Elle refait les calculs : — Et si on ne prenait qu'un fauteuil au lieu de deux... Matinée tranquille comme tant d'autres. Sylvestre est loin, parti avec l'OM. — Sylvestre ! Sylvestre ! Viens voir ce qui arrive ! Sylvestre ne lève même pas l'œil de son journal : — Oui, qu'est-ce qui arrive ? — Le stylo de papa. Il écrit ! — Oui, le stylo de ton père écrit. Et alors ? Un stylo c'est fait pour écrire... — Non, mais il écrit... tout seul. — Il écrit tout seul ? Tu te sens bien, Cricri ? — Mais oui, viens vite, regarde. Le stylo de papa, c'est lui qui guide ma main... Regarde, il écrit des mots tout seul sur la page. Pour le coup, Sylvestre abandonne le destin de l'OM. Il regarde, interloqué, en direction de la jeune femme : — Tu n'as pas pris un coup de soleil sur la carafe ce matin, en faisant les courses ? Tu m'as l'air bien rouge tout d'un coup... Mais Christiane, Cricri pour les intimes, ne dit plus rien. Elle est là, devant la table, et elle continue d'écrire, fascinée. Sylvestre se lève, poussé par la curiosité. Il vient à côté de Christiane. Et il regarde par-dessus l'épaule de la jeune femme : — Qu'est-ce que tu écris ? — Mais je n'écris pas, c'est le stylo qui écrit. C'est lui qui pousse ma main... C'est incroyable … Regarde ce qu'il dit : «Mes chers enfants, c'est moi, c'est papa...» Sylvestre connaît le caractère enjoué de Christiane. Il se refuse à croire à ce qu'elle dit : — Hé, tu me blagues, Cricri ! C'est toi qui me fais une blague... Mais Christiane cramponnée au stylo continue d'écrire : — ... n'ayez pas peur. Je suis bien. Je vous protège... La main de Christiane continue de courir sur le papier en suivant les lignes du quadrillage. Sylvestre remarque : — C'est marrant. On dirait bien l'écriture de ton père... En définitive, au bout d'une demi-heure de cet exercice, Christiane, un peu pâle, interrompit la séance. Le stylo l'a conduite jusqu'au bas de la page quadrillée : — Il s'est arrêté. Je ne sens plus rien. ?a ne marche plus... — Normal. Regarde, il a dit au revoir. En effet, le texte tracé par le stylo se termine par «Au revoir, mes enfants.» Christiane est un peu essoufflée : — Je ne me sens pas bien dans mon assiette. C'est fou. Je t'assure que le stylo bougeait tout seul. Chéri, je boirais bien un petit pastis pour me remettre (à suivre...)