Légendes n Les histoires de revenants abondent en Algérie où, comme partout ailleurs, on croit que les âmes des défunts, reviennent sur les lieux où elles ont été tourmentées. Notre premier récit a pour cadre la ville d'Oran, à la fin des années soixante. Oran, à cette époque, n'était pas encore la ville gigantesque qu'elle est devenue aujourd'hui, mais c'était la deuxième ville d'Algérie. Comme ailleurs, l'exode des Européens a été suivi par un afflux des populations algériennes, notamment rurales, fortement éprouvées par la guerre de libération. Ali B. n'est pas à proprement parler un homme dans le besoin, au contraire, il est plutôt aisé. Négociant, résidant jusque-là dans la région d'Arzew, il veut installer sa famille dans la grande ville, pour assurer à ses enfants une instruction. A cette époque, Oran ne connaissait pas encore la crise du logement et il était facile de trouver de bonnes occasions. Ali prospecte quelque temps puis tombe sur une maison de maître que les propriétaires européens, un couple de vieux, décidé de rentrer en France, veut vendre. Certes, on ne peut pas dire que la maison est resplendissante — elle date de plus d'un siècle — mais ce n'est pas non plus une ruine. Il suffit de la repeindre et de faire quelques travaux et elle sera habitable. De plus la maison a un grand jardin, pour le moment abandonné aux ronces mais que l'on peut rénover. Comme le prix avancé par le couple n'est pas excessif et que Ali a l'argent, l'affaire est conclue. Ali rentre chez lui et annonce à sa famille : — Préparez-vous, nous allons à Oran ! — Maintenant ? demande sa femme, Zahia. Et pour quoi faire ? — Pour y habiter ! La jeune femme le regarde surprise. — Tu es sérieux ? — Oui, dit-il, tu vas devenir une citadine ! Mais il ajoute aussitôt : — En fait, nous allons habiter dans la banlieue de la ville, dans une grande maison... Oran est à peine à une demi-heure par bus ! Zahia est folle de joie. — Les enfants pourront aller à l'école ? Au lycée ? — Bien sûr ! — Les filles aussi ? — Quelle question ! bien sûr que les filles feront des études comme les garçons ! Le visage de Zahia se rembrunit. — Ta mère, voudra-t-elle quitter le village ? — Elle n'a pas le choix ! — Elle voudra rester dans sa maison... — Elle est vieille et malade et elle n'a personne d'autres que nous. Elle est obligée de nous suivre ! Zahia est de nouveau heureuse. — Je vais annoncer la nouvelle aux enfants ! ils seront si contents de partir d'ici, d'aller habiter dans la grande ville ! (à suivre...)