Le réalisateur ne se contentera pas de filmer Oran, mais aussi l'intérieur de l'Algérie. «Une idée résume l'ambition de ce film: autour d'un voyage en Algérie, montrer comment cheb Hasni a marqué son époque et touche une génération de jeunes qui ne l'ont pas connu et pourtant se reconnaissent dans ses chansons», affirme le réalistateur. Cheb Hasni, je vis encore! est le titre d'un film-documentaire proposé par Djamel Kelfaoui, sur la vie du Julio Iglesias du Maghreb ayant incarné le «raï love». «Je ne pense pas à ma carrière, je pense à mon pays... mon souhait le plus fort est de voir l'Algérie en bon état», tel était le voeu de cette star, l'idole de toute une jeunesse, parti très tôt car lâchement assassiné un certain 29 septembre 1994, dans son quartier de Gambetta (Oran). En 1986, officiellement programmé pour un festival à Bobigny, le raï débarque en France. On accueille le temps d'un week-end, les stars du moment: cheb Khaled, cheb Mami, cheb Hamid et le duo Sahraoui-Fadéla. Puis, sous l'égide du ministère de la Culture, la Grande Halle de La Villette organise, à son tour, un festival, «Le raï dans tous ses états». Des meddahate à cheikha Rimitti, de Bouteldja Belkacem à Bellemou, de cheb Khaled à Raïna Raï. Une anthologie du raï est proposée ce soir-là. Un style adopté et surtout vite apprécié car étonnamment libre. On y chante l'amour, le plaisir de la chair et le vin ! Coup de coeur et peut-être un déclic, en tout cas premier flash souvenir. Djamel Kelfaoui se rappelle avoir pris ses premières photographies sur le raï à l'occasion de ces deux événements, et son travail de programmateur sur un festival en banlieue parisienne le pousse à s'intéresser d'autant plus aux musiques du monde. Paris et Marseille, après Oran, deviennent les capitales du raï. Cheb Khaled s'installe en France et au contact d'autres musiques, le raï se ressource, acquiert une audience internationale et devient un véritable phénomène médiatique. Le raï touche, car ses paroles authentiques chantent les misères de la vie, l'amour sans tabous, il se veut le cri d'une génération en mal de vivre. Il devient plus incisif lors des émeutes de 1988. C'est dans ce contexte que cheb Hasni en duo avec chaba Zahouania interprète Beraka, évocation enflammée d'une étreinte torride dans une baraque mal foutue. Ce titre va défrayer la chronique. Cheb Hasni s'impose de belle manière sur le podium du raï, essentiellement sentimental. Kelfaoui revient en Algérie en 1989. «Le voyage est l'occasion pour moi d'apprendre et de découvrir l'Algérie à travers l'histoire de ce mouvement musical: Ya Raï.» Par la suite, plusieurs tournages sont réalisés à Oran sur une série de sujets sur la côte ouest. Tout au long des années 1990, Djamel Kelfaoui filme Oran et ses artistes à un moment où l'Algérie vit les heures les plus noires de son histoire. A deux reprises, Kelfaoui a l'occasion de programmer cheb Hasni pour un festival en banlieue parisienne où la frénésie de la danse dans la foule confirme la naissance d'une star! Au printemps 1992, en plein Ramadan, le réalisateur réalise à Oran une série de reportages dont un sur cheb Hasni, Le Raï a le blues! Au fil des années, l'amitié s'installe. Un des moments forts de l'artiste cheb Hasni est son passage à l'aube devant des milliers de spectateurs au stade du 5-Juillet en 1993. Un an après, l'étoile vient de tomber. Les obsèques du jeune chanteur rassemblent des milliers de personnes. Aujourd'hui, cheb Hasni est devenu un mythe en Algérie. Personne ne pourra le détrôner. Une dizaine d'années après, il reste le chanteur incontesté du raï love. Ses chansons passent toujours à la radio, comme hier. Pour ainsi dire, il est toujours vivant et vénéré comme autrefois. Il reste l'une des plus grosses ventes de cassettes au Maghreb. «De Marrakech à Tunis, en passant par Alger ou Oran, son âme musicale est omniprésente dans la vie de tous les jours. Salons de coiffure, kiosques téléphoniques, cafés, parcs, plages, bus... il est représenté sous forme d'icône dans ces lieux de la vie quotidienne qui nous permettent d'évoquer l'artiste...En France, à Barbès, les magasins de disques sont de véritables thermomètres», affirme le réalisateur et de confier: «Le projet de ce documentaire est l'aboutissement d'un travail sur le temps au profit de la mémoire. Grâce à ces tournages en France et en Algérie, j'accumule la mémoire d'une époque avec la captation d'images des concerts de solidarité, de réactions sous forme de micros trottoirs et de nombreux entretiens avec les acteurs de la saga. Cette matière tournée durant ces quinze dernières années, me permet aujourd'hui de proposer et de construire ce projet documentaire, récit d'une rencontre avec une personnalité du raï : cheb Hasni! Ce film sera construit autour d'un commentaire à la première personne qui facilitera la mise en images (archives) de mes souvenirs évoqués tout au long d'une traversée en bateau». Aussi, le réalisateur ne se contentera pas de filmer Oran, berceau du raï, mais aussi l'intérieur de l'Algérie, Blida, Laghouat, Tiaret où plus qu'ailleurs, cheb Hasni est le porte-drapeau des sentiments de cette jeunesse marginalisée et isolée à l'intérieur du pays. Aussi, Ghardaïa, Béjaïa, Constantine et Annaba. Sans effets de mode et comme partout ailleurs en Algérie, le portrait de cheb Hasni est partout affiché sur les murs ou sur les étals pour marquer le souvenir de cet artiste. D'autres images seront tournées dans le cadre de l'exploration musicale de ce grand artiste, cheb Hasni. En effet, Djamel Kelfaoui s'envolera bientôt à Oran afin de prendre le pouls du festival du raï qui se tiendra du 16 au 19 août, et se remémorer la trace indélebile du mythe Hasni dont «on a dit qu'il était mort». C'est faux. La preuve...