Controverse n Si la question de la langue se pose, c'est parce que le théâtre algérien est vivement critiqué par le public arabe. La question de la langue dans le théâtre reste continûment posée lorsque le débat est ouvert : quelle langue pour quel théâtre ? Faut-il choisir l'arabe classique ou l'arabe populaire, dit dialectal ? Mais tous, y compris les professionnels, optent pour ce qui est appelé la «troisième langue». Celle-ci se définit comme une langue inspirée à la fois de l'arabe classique et populaire, une langue comprise par tous, c'est-à-dire une langue standard. Si certains veulent un théâtre conformiste, alors que d'autres choisissent un théâtre populaire, d'autres, en revanche, préfèrent un théâtre commun à tous, voire usuel. «La question de la langue fait, et cela depuis plusieurs décennies et ça continue toujours, l'objet de discussions et de polémiques. En Algérie comme en Tunisie ou au Maroc où même dans d'autres pays arabes, on ne cesse de la rabâcher sans même arriver à une solution», relève Ahmed Benaïssa, dramaturge, déplorant ainsi que ce type de réflexion enferme le théâtre dans des débats vains de manière à lui faire perdre sa fonctionnalité, empêchant alors, et d'emblée, la création et l'ouverture sur d'autres pratiques scéniques et nouveaux modèles esthétiques. Si la question de la langue se pose en effet – et pose en conséquence «problème» et suscite moult controverses qui se révèlent, fréquemment, stériles –, c'est parce que le théâtre algérien, tel qu'il est pratiqué dans son caractère populaire, est vivement – souvent exagérément – critiqué par le public arabe. «Le public arabe reproche au théâtre algérien d'être incompréhensible», déclare Fouzia Aït El-Hadj, dramaturge, ajoutant que «lorsque l'on joue dans les pays arabes, la remarque qui revient souvent et qui nous est faite, c'est bien celle d'un théâtre incompréhensible». Fouzia Aït El-Hadj pense, en ce qui la concerne, que la meilleure façon de faire du théâtre, c'est de se pencher sur un texte propre et correct, un texte où il y a une recherche du verbe, recherche certes mais pas lourde ou complexe. Ce genre de texte semble être effectivement approprié à la scène. Mohamed El-Aïd Kabouche, auteur et metteur en scène, relève, pour sa part, que la langue ne peut constituer un écueil à l'exercice théâtral. «La forme du langage s'impose à l'auteur, donc à l'écriture scénique», dit-il. Cela revient à dire que la question de la langue s'avère manifestement un faux débat, puisque ce n'est pas la langue qui est mise en question, mais c'est bien la manière dont celle-ci est utilisée. Quand il n'y a pas maîtrise de la langue, quand celle-ci échappe aussi bien à l'auteur qu'au metteur en scène et aux comédiens, le jeu se révèle faux, lourd et ennuyeux. Lorsque Sonia – sachant que celle-ci est, d'abord, francophone et, ensuite, est encline à un théâtre populaire – a, il y a quelques mois, fait monter en arabe classique, pur et dur, la pièce La langue des mères, elle a dû, pour les besoins de la scène, pour une meilleure façon de dire le texte, faire appel à un expert en langue arabe en vue de corriger, de soigner et d'étoffer la prononciation, l'intonation, donc l'élocution des comédiens. Résultat : le jeu était net, perceptible, riche, aéré et, de surcroît, savoureux. Il était franc, authentique. l Faire un théâtre en arabe classique relève toutefois de l'exception : c'est bien la scène qui fait appel au texte – et non pas le contraire. Interrogé sur le choix de la langue arabe utilisée dans sa pièce, Descente d'Ishtar aux enfers, une pièce inspirée d'un classique, qu'il a présentée, lui aussi, il y a quelques mois, Sid Ahmed Hassan Kara, auteur et metteur en scène, dit que «le choix de la langue s'est imposé par lui-même», relevant que dans certains cas, le recours à une langue soutenue est inévitable. «Car il y a des locutions qu'il est facile de dire en arabe classique – cela paraît évident et correct – et qu'il est cependant impossible de les prononcer ou de les convertir en dialectal, puisque cela fait perdre à la pièce sa teneur et sa théâtralité.» Ainsi, un théâtre en arabe classique est effectivement une exception – et il ne peut, de ce fait, être représentatif de la pratique théâtrale à l'empreinte algérienne. Enfin, le théâtre algérien, le vrai, c'est celui qui se nourrit du patrimoine ; c'est celui qui se dit en langage populaire. Et tendre l'oreille aux jugements des uns comme aux reproches des autres, c'est se refuser comme étant une entité spécifique à part entière. C'est se perdre et perdre de son authenticité. C'est s'assimiler à l'autre, donc se renier dans la différence, dans l'altérité, voire dans le complexe d'infériorité.