Michaël Delmotte adore les grandes balades à pied. Parfois, pour le plaisir, il chausse ses gros souliers de marche, attrape son macfarlane et le voilà parti. Il a repéré un village à dix kilomètres de là. Mais cela ne lui fait pas peur. Deux heures de marche en pleine nature. Une fois arrivé à destination, il fait un tour dans le village, visite l'église, boit un verre de Vichy au café du coin et revient. De préférence par un chemin différent. — Si je suis trop fatigué, il y aura peut-être un autocar pour me ramener. Ou bien je trouverai un taxi. Ou bien je ferai du stop ! Michaël Delmotte passe de longues heures à marcher dans la nature. Mais ce n'est pas du temps perdu. Michaël est écrivain et c'est au cours de ses longues promenades solitaires qu'il construit l'intrigue de ses romans. Sans écrire de ces «best-sellers» à la mode, Michaël parvient, bon an mal an, à des tirages très honorables qui font le bonheur de son éditeur et lui permettent de vivre confortablement. — C'est vraiment un très joli coin. Un de ces jours, il faudra que je vienne en passer une quinzaine ici. Il doit bien y avoir une auberge au bord de l'eau. Je pourrais même demander à Suzanne de m'accompagner. Suzanne Balaguère, une décoratrice dans le vent, est l'éternelle fiancée de Michaël. Voilà quinze ans qu'ils se connaissent, se fréquentent. Suzanne aimerait beaucoup devenir «Mme Delmotte» mais Michaël recule toujours cette éventualité. Michaël revoit la dernière soirée qu'ils ont passée ensemble, il y a tout juste une semaine. Il lui a dit, avec un certain cynisme : — Ma chérie, nous nous entendons si bien. Chacun chez soi et on ne se retrouve qu'au moment où nous en avons tous les deux envie. Cohabiter à longueur d'année ? A quoi bon ? Nous avons passé l'âge d'avoir des enfants... Quand nous serons bien vieux... le soir à la chandelle, comme dit le poète. Peut-être... Suzanne soupire, comme d'habitude : — Tiens, en attendant, j'ai un petit cadeau pour toi ! Elle glisse entre les mains de Michaël un paquet enrubanné. Il l'ouvre. A l'intérieur, six mouchoirs brodés : — Suzanne, c'est toi qui as brodé tout ça... — Oui, regarde, ils sont tous différents. —Tu sais que ça porte malheur d'offrir des mouchoirs. Tiens, voilà une pièce de cinq francs en échange. C'est pour conjurer le sort ! Les mouchoirs portent chacun un petit symbole brodé : un revolver, un sabre d'abordage, une lance, un arc, un poignard, un kriss malais. Chacune de ces armes symbolise un des romans d'aventures de Michaël... Michaël marche donc dans la campagne quand il lève les yeux au ciel. De gros nuages noirs venant de l'ouest envahissent l'horizon. «Oh ! J'ai l'impression que ça va dégringoler !» Michaël presse le pas. Pour l'instant, il est désespérément isolé au milieu d'une plaine à blé. Il y a bien un gros arbre. Mais, si l'orage éclate, il est tout à fait déconseillé d'aller s'abriter sous un arbre isolé. — Il faut que j'arrive au petit bois qui est un peu plus loin. Il n'y a pas plus d'un kilomètre : en courant un peu ! Michaël adore marcher mais il déteste courir. Enfin, il s'élance. D'ailleurs le vent s'est soudain mis à souffler. Pas de doute. L'orage est tout près ! En arrivant au petit bois, Michaël cherche du regard s'il n'y aurait pas un abri un peu solide. La pluie commence à tomber dru. De grosses gouttes chaudes. «Ah, là ! Cette vieille baraque ! C'est tout à fait ce qu'il me faut.» En effet, un vieux bâtiment à un seul étage est là. De toute évidence il est abandonné. L'entrée est surmontée d'une belle voûte en plein cintre. Une ogive de très belle qualité. (à suivre...)