Réputation n Si le couscous se décline, selon des connaisseurs, en quelque 60 variétés et trône régulièrement sur la table de tous les foyers algériens et maghrébins, c'est dans la ville de Mila que l'on trouve les meilleurs grains. Malgré le caractère quelque peu subjectif de cette sentence, un semblant de consensus s'est dégagé, surtout à l'Est du pays, autour de ce fait, soutenu, par ailleurs, mordicus par les Miléviens, que c'est dans cette région que l'on trouve le meilleur grain de couscous et surtout un couscous d'une qualité spéciale appelé m'haouer. Son grain, qui allie finesse, fermeté et goût, est préparé par «les plus expertes des expertes» parmi les rouleuses de couscous tant il requiert le doigté du maître, ou plutôt de la maîtresse, pour être ce grain ressemblant en apparence à du couscous fin, mais qui est, en fait, autre chose de plus raffiné et de plus savoureux. Fabriqué à base d'une semoule de blé dur spécialement sélectionnée à cet effet, (l'utilisation de variétés de blé appelées Mohamed el Bachir et el belyouni était incontournable il y a quelques années), el m'haouer est assaisonné d'une sauce blanche, très légère, à base de viande d'agneau et de pois chiches, mais sans ajout de légumes pour ne pas altérer le goût du grain. Légèrement arrosé de cette sauce, il est également décoré de boulettes de viandes de bœuf, de pois chiches fondants et d'œufs durs découpés en fines rondelles. C'est un plat de fêtes et de grandes occasions, adopté dans toutes les grandes villes de l'Est algérien où il fait partie du must des mariages, des circoncisions et de toutes autres réjouissances. Jadis, toute fille arrivée à maturité était initiée par ses aînées à l'art de rouler le couscous, ce savoir-faire faisant partie de l'apprentissage des «métiers de femme» à côté de bien d'autres arts ménagers. Le roulage de la réserve annuelle de couscous était aussi une occasion très conviviale où la gent féminine se donnait rendez-vous pour une touiza où l'on joignait l'utile à l'agréable en entonnant des chants traditionnels. Mais aujourd'hui, avec «l'émancipation» de la femme, de plus en plus présente dans la vie active et au travail, rouler le couscous est devenu une de ces «tâches préhistoriques» auxquelles les femmes répugnent, préférant commander leurs réserves de couscous soit chez des femmes qui en font un travail à domicile ou se rabattre sur du couscous industriel qui ne pourra jamais, de l'avis des fins gourmets, remplacer le véritable couscous amoureusement roulé à la main. La wilaya de Mila, qui fête ce plat traditionnel depuis mardi, dans le cadre de la Journée nationale de l'artisanat, entend bien contribuer à la préservation d'une tradition culinaire ancestrale, solidement établie, qui a donné naissance à un mets gastronomique ayant désormais droit de cité dans de nombreuses régions du monde.