Mémoire n Joue à l'ombre est l'intitulé du film documentaire de Mohamed Lakhdar Tati, projeté, hier, à la salle Frantz-Fanon (Riad-el-Feth). Conjointement produit par Machahou Prod (Algérie) et Grec (France), ce film, inscrit dans la manifestation «Alger, capitale de la culture arabe», a pour décor la ville d'Alger, ses rues et ses quartiers. Il raconte à travers des scènes du quotidien – des enfants qui jouent dans les rues ; une femme étendant son linge; des hommes attablés dans un café… –, des lieux urbains qui retracent et dessinent dans un naturel manifeste une spatialité, d'abord imaginée par les Français pour les Français au temps de la colonisation, ensuite réappropriée au lendemain de l'indépendance par les Algériens non pas pour s'adapter à leur nouvel environnement urbain, mais pour l'adapter à leur mode de vie, à leur culture et à leur conception d'occupation spatiale. Il s'agit en fait d'une recréation de la spatialité, une transformation d'un lieu urbain, dit européen. Il s'agit d'une redéfinition de la ville d'Alger. Il est question dans ce film, un court métrage, de proposer une réflexion sur un environnement spatial et non pas une simple et innocente vue d'ensemble de la ville d'Alger qui nous pousse à nous interroger sur elle. Ainsi, la ville d'Alger s'est recréée au fil du temps. Elle change continuellement d'allure, d'empreinte ou encore d'identité. Ce changement – parfois pernicieux – laisseapparaître un sentiment de nostalgie aussi bien chez les personnes de l'ancienne génération que par les jeunes envers le vieil Alger. Cette mélancolie apparaît dans le film, s'y fait visiblement sentir lorsque le réalisateur convoque le passé, fait un flash-back de la période coloniale à travers une carte postale sur laquelle figure le vieil Alger. Le film, qui fait se promener la caméra dans les rues d'Alger, s'y faufile, va à la rencontre de lieux et de gens, est dépourvu de dialogue, de commentaire ou encore de récit ou d'un quelconque discours. Tout est construit sous l'effet de tension qui se crée à partir des images et des effets sonores que la caméra fait voir, connaître et ressentir. C'est alors un film sans paroles, silencieux certes, mais pas muet – les images en même temps expressives et suggestives parlent d'elles-mêmes. C'est un film à forte charge émotionnelle ; cette émotion intensément et significativement incarnée par les différentes représentations visuelles, convertit le silence – pesant pour un public habitué à un prêt-à-voir ou à un prêt-à-penser – en une valeur et résonance poétique.