Si vous êtes un amoureux de l'Italie et plus particulièrement de la Sicile, vous avez peut-être parcouru cette île qui recèle mille merveilles. Au printemps de préférence, pour que la Sicile s'offre à vous comme un énorme bouquet de fleurs. Et si vous avez visité la Sicile, vous vous êtes peut-être arrêté à Baghiera, au sud de Palerme. Baghiera est loin de la mer et un peu à l'écart des circuits classiques, mais elle attire bon an mal an quelques milliers de touristes. Son principal attrait, c'est la villa Palagonia. Dès qu'un autocar de visiteurs s'arrête devant la villa, on entend toujours les mêmes commentaires : — C'est une vraie collection de monstres ! Non mais, regardez-moi celui-ci ! Et celui-là, il est encore plus laid ! C'est à avoir des cauchemars toute la nuit ! D'autres se montrent moins sensibles : — En tout cas, on peut dire que ça sort de l'ordinaire ! Ça date de quelle époque ? Et qui est-ce qui a fait construire ça ? Le guide s'empresse de répondre aux questions en racontant la terrible légende de la villa Palagonia. Mais s'agit-il bien d'une légende ? — Mesdames, messieurs, vous êtes ici dans le parc de la villa Palagonia, dite «Villa des monstres». Elle fut construite sur l'emplacement d'un domaine plus modeste par Don Francesco Ferdinando Gravina, prince de Palagonia. Ce noble Sicilien était le chambellan de Sa Majesté Charles III, roi de Naples et de Sicile sous le nom de Charles VIl. Charles VII est né à Madrid en 1716. Il y est mort en 1788. Il a régné sur la Sicile de 1734 à 1759... Le guide reprend son souffle tout en pénétrant dans la villa – enfin, dans ce qui reste de ce palais qui dut être splendide : — Don Francesco Ferdinando Gravina était connu dans toute la Sicile pour sa laideur proverbiale. Dès son jeune âge, il était gras et chauve. En plus, il était affecté d'une gibbosité énorme qui le rendait bossu. On le surnommait «le Chameau». Mais ce n'est pas tout ! Le groupe de touristes se fait attentif. Que pouvait-il donc avoir de plus ce pauvre Don Francesco Ferdinando ? N'était-ce pas suffisant comme ça ? Une jeune fille intervient : — Il était peut-être affreux mais il avait les moyens... Pour se faire construire un palais de cette dimension ! Avec toutes ces affreuses statues ! Le guide poursuit, sans relever la remarque : — Non seulement il était gras et bossu mais son visage était un chef-d'œuvre de disgrâce. Imaginez une figure tout en longueur, comme une lame de couteau. Sur ce visage étroit, la nature, ou Dieu le Père, avait jugé bon de greffer un nez énorme, rouge, gonflé, et la peau de son visage avait été marquée d'une manière indélébile par la petite vérole... Quelqu'un du groupe lance, pour détendre l'atmosphère : — Rien n'est petit chez les grands ! Mais les touristes sont fascinés par le récit du guide. Qui continue en ménageant ses effets : — Ce malheureux Don Francesco Ferdinando possédait pourtant de magnifiques yeux bleus… — Ah ! tant mieux ! soupire une dame. —... Hélas ! ces deux yeux ne regardaient pas dans le même sens. Don Francesco Ferdinando Gravina louchait à faire peur... Le groupe reste songeur. Le guide continue : — Quand il arriva à l'âge de quarante-deux ans, Don Francesco Ferdinando Gravina, malgré sa laideur, tomba amoureux. Jusque-là, il n'avait jamais songé à s'unir à personne. Qui aurait voulu de lui, même parmi les princesses les plus laides de l'Italie ? Et voilà qu'il tomba amoureux d'une jeune fille de Palerme. (à suivre...)