Le 10 décembre dernier, les autorités intérimaires d'Irak, installées par les Etats-Unis, ont créé un tribunal spécial chargé de juger les crimes contre l'humanité du régime de Saddam Hussein. Quatre jours plus tard, le 14 décembre, celui-ci est arrêté. Mais aujourd?hui, après l?annonce du «scoop» et les manchettes euphoriques des uns et des autres, l?heure est de savoir de quoi sera fait l?avenir immédiat de Saddam Hussein et de son pays qu?il a dirigé, à la manière du légendaire Nabuchodonosor, son père spirituel, d?une main de maître depuis son coup d?Etat de 1968 fomenté contre Abdelkrim Qassem, père de l?Irak moderne. L?heure est aussi propice pour saisir les contours de ce que sera l?Irak au moment où les contrats de sa reconstruction font couler beaucoup de salive tant les affaires s?annoncent juteuses. Commençons par écarter un détail : Guatanamo. L?île-enfer transférée en pénitencier à haute sécurité par les Américains pour les prisonniers de la guerre du Golfe acte II ne sera sans doute pas la future demeure de l?ancien maître de Baghdad pour la simple raison que ce dernier n?a pas le même profil que les autres détenus, à moins de lui coller, une fois passé devant les tribunaux, l?étiquette d?allié d?Al Qaîda de Oussama Ben Laden. En apprenant la «bonne nouvelle» à son peuple, quelques heures après l?arrestation du raïs, le président américain Bush a promis que «maintenant, l'ancien dictateur va faire face à la justice qu'il a refusé de donner à des millions de gens». Mais devant quel tribunal ? Le TPI qui juge toujours le Serbe Milosevic n?étant pas reconnu par l?administration Bush, cette dernière choisit les bonnes vieilles méthodes du passé : juger les criminels de guerre sur les mêmes lieux des crimes et génocides commis. Ainsi, 58 ans après Nuremberg et les 22 dignitaires du III Reich condamnés, le monde s?apprête à vivre un long procès qui fera de l?Amérique de Bush la mère protectrice du monde civilisé face aux démons de «l?axe du mal». En laissant le soin aux Irakiens de juger leur président, l?administration Bush aura gagné doublement : la légitimité internationale de son intervention puisque quel que soit le verdict, il sortira d?un tribunal créé par le Conseil de gouvernement transitoire irakien, lui-même sous la coupe de l?administrateur général Paul Bremer. Cette même reconnaissance ouvrirait la porte aux firmes américaines et à un degré moindre aux Britanniques de se partager le gâteau des contrats juteux sans que les autres crient à la conspiration. Enfin, Bush aura de la sorte mérité son titre honorifique de héros de la démocratie et partira grandissime favori pour la présidentielle américaine en novembre 2004.