Le jugement du président déchu irakien s'ouvre aujourd'hui dans un contexte irakien exceptionnel. Le jugement de Saddam Hussein entrera-t-il dans la grande lignée des procès politiques, comme celui de Nuremberg, après la Seconde Guerre mondiale, ou prendra-t-il place dans la catégorie des mascarades judiciaires telles qu'ont pu le montrer les procès de Moscou ou de Prague des années de gloire du bloc communiste? Telle est en fait la question qui se pose autour d'un procès appelé à faire événement. Il ne fait pas de doute cependant que l'ex-dictateur irakien a la conscience trop chargée des crimes commis par son régime contre l'Irak (la guerre contre l'Iran -plus d'un million de morts des deux côtés- occupation du Koweït...) et contre les Irakiens (gazage et bombardement de population, assassinats politiques des opposants...) pour être présumé innocent. Le problème, plus que dans la culpabilité de l'ancien président irakien, est dans la manière avec laquelle il va être jugé, la qualité de la défense mise à sa disposition, la neutralité d'un tribunal spécialement constitué pour cet événement qui (dans l'Irak qui veut construire un Etat démocratique avec une justice au dessous de tous) aura la lourde tâche de montrer chaque jour que le procès de Saddam Hussein n'est ni une vengeance, ni une revanche sur un homme aujourd'hui déchu et tombé de son piédestal. Beaucoup de crimes sont reprochés à l'ancien dictateur comme le gazage du village kurde de Halabja en 1988 faisant 5000 morts et 10.000 blessés, ou encore la campagne d'Anfal en 1987/1988 qui s'est soldée par la mort de quelque 182.000 personnes. Paradoxalement, c'est pour le ‘'moins- disant'' de ces crimes, celui de Doujaïl (massacre de 143 villageois assassinés après l'attaque contre le convoi de Saddam Hussein en visite dans cette région), que l'ancien dictateur et sept de ses acolytes -parmi lesquels l'ancien vice-président et numéro deux du régime, Taha Yassine Ramadan et Barzan Ibrahim Al-Hassan Al-Tikriti, ancien chef des services de renseignement- auront à répondre à partir d'aujourd'hui devant le Tribunal spécial irakien (TSI). C'est en 1983 que se sont produits les événements de Doujaïl, village situé à 60 km au nord de Baghdad, qui ont vu le massacre de 143 villageois, consécutif à l'attaque dont a été l'objet le convoi dans lequel se trouvait l'ex-président Saddam Hussein. Les représailles ont été aussi immédiates que sans concession. Des dizaines de villageois sont massacrés -le chiffre communément admis est celui de 143 victimes - des dizaines d'autres arrêtés ou disparus. Il semble que personne ne sait exactement où ont été ensevelis les corps des 143 victimes alors que plusieurs fosses communes ont été découvertes dans la région depuis la chute du régime baasiste en avril 2003. Aujourd'hui, 23 ans après le drame, les habitants de Doujaïl veulent surtout que Saddam Hussein dise où sont enterrés les corps de leurs proches et parents. Selon les témoignages d'habitants du village, Saddam Hussein aurait déclaré, après l'attaque de son convoi, alors qu'il se trouvait au siège local du Baas: «Nous savons qui sont les responsables de l'attentat et nous les avons déjà arrêtés.» Un vieil habitant de Doujaïl se souvient et raconte: «Il venait de visiter une mosquée et se dirigeait vers le centre du village, quand des hommes armés ont ouvert le feu depuis un vaste verger bordant un côté de la route. Les gardes du convoi ont riposté en tirant dans tous les sens, ils ont même tué deux enfants dans une maison, puis sont partis». C'est donc ce dossier qui ouvre aujourd'hui la longue liste de procès qui attendent l'ancien dirigeant irakien qui doit répondre des accusations de crime contre l'humanité et de crime de guerre, tous passibles de la peine capitale. Doujaïl est ainsi le premier dossier, des charges pesant sur Saddam Hussein, à être bouclé par les juges d'instruction du tribunal spécial (TSI) chargé de juger l'ancien dictateur, le premier chef d'Etat arabe à être jamais contraint de rendre compte de ses actes. Selon le juge Raëd Al-Jouhi, porte-parole du TSI, douze autres affaires concernant directement le président déchu sont en phase de finalisation. Les chiites et les Kurdes qui ont le plus souffert sous la présidence de Saddam Hussein sont aussi les plus acharnés à ce que justice leur soit rendue par la condamnation sans rémission de l'ancien dictateur. Le président américain George W.Bush partage ce sentiment, gardant le ressentiment contre l'homme qui a attenté à la vie de son père (l'ancien président George Bush). En effet, le procès de Saddam Hussein constitue pour les Bush, père et fils, l'heure de la vengeance contre un homme qui a mené la vie dure à leur pays les Etats-Unis. De fait, quelques mois avant l'envahissement de l'Irak par les armées américaine et coalisées, en septembre 2002, le président George W.Bush s'est exclamé devant son auditoire. «Il ne faut pas oublier que c'est l'homme qui a essayé de tuer mon père (allusion à un complot déjoué et attribué aux services secrets irakiens visant à assassiner George Bush alors que celui-ci se trouvait au Koweït en 1993, après avoir quitté la présidence des Etats-Unis)». C'est ce même effet de vengeance qui se retrouve chez les Kurdes et les chiites, ce qui fait craindre que le procès ne soit pas équitable. Certes, les chefs des deux communautés se défendent d'un tel sentiment sans que, toutefois, ils soient convaincants ou dissipent ces appréhensions. Capturé en décembre 2003 dans la région de Tikrit, son fief et sa ville natale, Saddam Hussein et sept autres accusés, dont Taha Yassine Ramadan, ancien vice-président, comparaissent à partir d'aujourd'hui devant les cinq juges du tribunal spécial irakien. Selon le porte-parole du TSI, le juge Al-Jouhi, Saddam Hussein aura droit à un «procès équitable» indiquant que pour cette première journée, l'ancien président et ses coaccusés «n'auront peut-être qu'à donner leur nom» au tribunal. Il est aussi possible qu'il y ait ajournement, à la demande de la défense, selon ces mêmes sources. Lors de sa première audition par le TSI Saddam Hussein avait, rappelle-t-on, rejeté la légitimité du tribunal arguant qu'il est «(...) le président de la République d'Irak» et qu'il est ‘' Irakien'' Selon le porte-parole du TSI, le procès serait «public à moins que le tribunal décide de le tenir à huis clos». Des observateurs internationaux seront présents, selon lui. Toutefois, il est fait remarquer que l'illustre accusé n'a, en tout et pour tout, qu'un seul avocat irakien, maître Khalil Al-Doulaïmi. De fait, ce dernier s'est plaint récemment du manque de fonds du comité de défense de Saddam Hussein et surtout du fait qu'il n'a pu préparer convenablement la défense de son client et qu'il n'a pas pu consulter tous les éléments du dossier sur lesquels sera basée l'accusation. Toutes choses qui n'augurent pas d'une suite satisfaisante du procès de Baghdad appelé à faire date.