On raconte qu'une princesse, fille unique d'un grand Sultan, vivait heureuse dans le luxe et la paix. Son père cédait à tous ses désirs. Langoureuse, elle passait son temps dans sa chambre où tout n'était que soie et velours. Tous ses caprices étaient satisfaits et nombre de ses serviteurs et esclaves étaient prêts à exécuter la moindre de ses demandes. Ainsi le temps passait-il heureux et long. Un jour, une voix de marchand cria dans la rue : — Ya chari el-hemm bi derhem ! Qui veut acheter le malheur avec son argent ? La princesse se redressa et ordonna à sa servante : — Va voir comment se présente ce Hemm Bi Derhem ? La servante revint : — C'est un œuf ! Le marchand dit qu'il suffit de le faire couver pour qu'éclose un merveilleux oiseau «El-Hemm Bi Derhem» et celui qui possède cet oiseau ne risque plus jamais de s'ennuyer. — Oh ! C'est tout à fait ce qu'il me faut, déclara la princesse désireuse d'échapper à l'ennui de ses longues journées. Elle donna l'argent (derhem) à sa servante qui lui rapporta l'œuf. Elle le fit couver amoureusement en imaginant l'éclosion d'un magnifique oiseau qui la distrairait en lui chantant les mélodies les plus extraordinaires. Ainsi, le temps passa-t-il et enfin l'œuf éclôt. La princesse fut horrifiée par la laideur de l'oisillon. Mais, comme toutes les petites choses sont émouvantes, elle l'adopta malgré les mises en garde de ses servantes qui lui conseillèrent d'étouffer immédiatement «cette étrange bête». Elle le nourrit des meilleures graines et le regarda pousser. L'oiseau se mit à grandir de manière inquiétante et réclamait toujours plus de nourriture. Sa laideur effrayait les gens de la cour qui refusèrent de s'en approcher contraignant la princesse seule à le soigner et le nourrir. La taille du volatile atteignit des dimensions jamais vues et sa voracité n'avait plus de limites. Un jour il prit la parole : — Princesse ! Ce que tu me donnes ne me suffit plus. Je dois aller chercher de quoi me nourrir. Il s'envola hors du palais. Peu à peu, il décima troupeaux de moutons, vaches, chevaux, chameaux avant de ravager champs et forêts. Il retournait toujours auprès de la princesse qui pleurait : «El Hemm Bi Derhem», tu as ruiné le pays de mon père. Nous voilà tous plongés dans le malheur. Je vais partir. Un matin, elle quitta le pays pour échapper au monstre qu'elle avait acheté avec ses dirhems. Elle arriva dans une région aussi riche que fut celle de son père et trouva du travail dans un palais. Hélas, «El Hemm Bi Derhem» la suivit et se mit à tout dévorer. Il ne laissa que désastre et misère. La princesse fut chassée. Toujours sur ses traces, «El Hemm Bi Derhem» ne lui laissait aucun répit, semant le malheur autour d'elle. Et le temps passa, jour après jour, nuit après nuit. Des années s'écoulèrent. De pays en pays, la malheureuse princesse arriva dans un royaume où vivait un grand Sultan réputé pour sa mansuétude et sa générosité. Elle trouva refuge dans le palais où elle devint servante. Les jours s'écoulaient sans que, étrangement, apparut l'horrible oiseau. Ainsi, au fil du temps, son inquiétude se dissipa-t-elle et elle recouvra toute sa splendeur. (à suivre...)