Oubliées ! n Ces autres victimes de la tragédie irakienne subissent le martyre dans un pays livré au chaos .Elles racontent leur combat quotidien pour survivre, au sens propre et au figuré … La violence leur a pris leurs maris et brisé leurs espoirs, mais pour des centaines de milliers de femmes en Irak, la bataille continue : les veuves de guerre, ignorées par les autorités, doivent faire survivre leurs familles dans un pays naufragé. Elles forment une armée silencieuse de plus d'un million d'ombres noires, et des chiffres officiels irakiens indiquent qu'une femme sur six, entre 15 et 49 ans, a perdu l'époux qui subvenait à ses besoins, dans une société fortement patriarcale. Selon une experte américaine, le désespoir risque de les pousser aux pires extrémités: «l'Irak est une nation de veuves», a souligné lundi Farhana Ali, parlant à Washington devant un congrès de psychiatrie. «Et il y en aura de plus en plus qui choisiront de mourir en kamikaze.» Oum Haïdar porte le deuil depuis que son mari, employé dans un magasin, a été abattu par des hommes armés, il y a deux ans. «Je suis en noir, parce que je suis en deuil. Mais aussi à cause de l'insécurité qui règne dans le pays», explique-t-elle . «Tout est dangereux et risqué, et nous sommes tous les jours confrontés à la mort.» La jeune femme de 35 ans fait des ménages, son fils Haïdar, 10 ans, a dû quitter l'école, et travaille dans un salon de coiffure pour aider sa mère à élever sa petite sœur de quatre ans. Depuis la mort de mon mari, je me bats pour nourrir mes enfants», constate la jeune veuve, qui ajoute que bien peu de gens l'ont aidée. Elle s'est enveloppée d'un long voile noir pour marquer son chagrin et pour se protéger, comme la majorité des Irakiennes, contre le fondamentalisme religieux qui cherche à s'imposer dans une société qui se voulait laïque. Wafa Faraj, 38 ans, a été contrainte de retourner vivre avec la famille de son mari Mohammad, un policier de la circulation, lorsqu'il a été tué en 2006 à Bagdad par un tireur embusqué. Elle s'est installée avec ses deux filles de 13 et 8 ans dans une minuscule chambre, équipée d'un lit, d'un téléviseur et d'une petite table où sa fille peut étudier. «Je m'en sors à peine», explique cette fonctionnaire. «Je dois travailler dur, car personne ne s'occupe ni de moi, ni de mes deux filles;» «Je déteste la guerre», poursuit-elle. «Elle a fait de beaucoup de femmes des veuves, et de beaucoup d'enfants, des orphelins.» Elle accuse les troupes américaines qui ont éliminé le régime de Saddam Hussein en avril 2003 d'avoir suscité de faux espoirs. «Elles nous ont promis la liberté, mais elles nous ont apporté la mort et le sang», ajoute-elle. Samira Al-Moussaoui, présidente de la commission du Parlement irakien pour les femmes et l'enfance, est bien consciente de la nécessité de faire plus pour promouvoir la condition des veuves, dont le nombre s'accroît. «Seuls 50% sur un million de veuves sont enregistrées aux départements des Affaires sociales», explique-t-elle. Elles ont droit à une aide de 150 000 dinars (125 dollars) par mois, mais toutes ne l'obtiennent pas et Wafa Faraj se l'est vu refusé parce qu'elle a un emploi. Dans le même temps, le désespoir grandit parmi ces victimes oubliées de la guerre, prévient Farhana Ali. «Vous verrez plus de femmes opter pour des attentats suicide dans les mois à venir», assure-t-elle. «Les femmes utilisent les attentats pour protester. En Irak, elles protestent contre la perte de leurs hommes, la perte de la société et la perte de leur pays.»