Louis Ier, duc d'Anjou, frère de Charles V, chef de la troisième maison d'Anjou et second fils de Jean le Bon, décide un jour de faire appel à un peintre célèbre : Jean de Bondol, peintre du roi, ainsi qu'à Hennequin de Bruges. Il leur demande de bien vouloir exécuter un projet pour une tapisserie gigantesque, dont le thème est l'Apocalypse selon saint Jean. Pour l'instant, Louis est régent du royaume de France. Il cherche un moyen d'affirmer son rang et sa puissance par rapport aux nobles, comme toujours révoltés, jaloux et prompts à saisir toutes les occasions de nuire, tous les moyens de s'emparer du pouvoir. A partir de dessins et de petites peintures, des spécialistes vont construire les cartons grandeur nature qui permettront aux ateliers de créer l'œuvre définitive. Mais Louis Ier d'Anjou, comme beaucoup de nobles, ne possède pas dans ses caisses la somme nécessaire pour financer son grand projet. Il doit donc faire appel à maître Nicolas Bataille, lui-même «fermier» de la tapisserie, qui, à ce titre, possède ses propres ateliers. Nicolas Bataille propose que, pour accomplir cette œuvre colossale de 140 mètres de long sur 6 mètres de haut – soit 84 tableaux différents répartis sur 6 pièces –, l'on fasse appel à un autre spécialiste, le lissier parisien Robert Poinçon. Une fois tous les détails mis au point, les deux maîtres lissiers s'attaquent à l'œuvre. Il ne leur faudra que sept ans pour en venir à bout, de 1375 à 1382. Le sujet de la tapisserie doit frapper les imaginations et proclamer la gloire du duc Louis Ier. Il ne s'agit pas d'une tenture destinée à réchauffer ou à meubler les pièces du château d'Angers. Ses dimensions sont bien trop importantes pour qu'aucune pièce du château ne la contienne. Mais pourtant, dans ce même château, une salle prend le nom de «chambre de la tenture» : c'est là que la tapisserie sera conservée jusqu'aux jours de fête, où elle sera exposée à l'admiration de tous. Pourquoi avoir choisi le thème de l'Apocalypse ? Nous sommes en pleine guerre de Cent Ans, et des malheurs... apocalyptiques, justement, s'abattent sur la France : batailles, pillages, incendies, épidémies, famines, massacres. Rien n'y manque... Mais le terme «apocalypse», en grec, signifie aussi «révélation». L'apôtre saint Jean, le préféré de Jésus, le seul à n'avoir pas subi le martyre, s'était réfugié à Patmos et il y eut une vision, celle du grand combat engagé entre le Christ et Satan, le «grand dragon». Séductions et affrontements alternent jusqu'à la chute de Babylone – la «grande prostituée» et le «royaume de Satan» – qui devra laisser place à la «Jérusalem céleste». Et après toute la série de malheurs annoncés, l'Apocalypse se termine cependant sur une note d'espoir. Espoir en la victoire du Bien sur le Mal, de Jésus sur Satan, espoir de rédemption pour tous les mauvais chrétiens qui sont devenus adorateurs du mal. Le sujet illustre donc les prophéties de saint Jean, symbolisées par sept sceaux brisés, sept sonneries de trompettes, sept coupes vidées, sept coups de tonnerre, et un dragon à sept têtes. Le jeune duc est sans doute aussi guidé dans son choix par l'espoir de racheter une conduite personnelle plus que blâmable... Les sept panneaux sont divisés en deux registres superposés et, au bord de chaque pièce, on voit un personnage géant qui représente sans doute un lecteur. A la création de la tapisserie, le bas des panneaux comportait un texte, sans doute celui de saint Jean – à moins qu'il ne s'agisse d'un commentaire. Chaque panneau est alors fixé sur un cadre de bois, à la manière d'une toile moderne tendue sur un châssis. (à suivre...)