Parcours n Le cinéma égyptien et arabe viennent de perdre l'un de ses grands réalisateurs, Youssef Chahine, décédé hier au Caire, à l'âge de 82 ans. Laissant derrière lui un parcours artistique riche, empreint d'audace, de sincérité et d'humanisme, Youssef Chahine était un amoureux du 7e art, d'abord en tant que spectateur puis en tant qu'acteur après avoir étudié le théâtre aux Etats-Unis. Mais c'est incontestablement sur la réalisation qu'il jeta son dévolu. Le métier de réalisateur «est le seul dans lequel mes ambitions et mes rêves prennent vie», disait-il. L'ambition du réalisateur, qualifié de «légende» du cinéma arabe par les personnes l'ayant côtoyé, a pris forme dans les thèmes inhabituels qu'il aborda, car dépeindre le quotidien de simples gens avec leurs espoirs et leurs tourments n'était pas courant dans le cinéma égyptien de l'époque. En effet, Youssef Chahine se distingue de ses contemporains égyptiens par les thèmes épineux et sensibles qu'il aborde à une époque, marquée par le romantisme et la comédie musicale. Son don de réalisateur s'affirme très tôt avec des films comme Papa Amine (1950), une adaptation d'un roman américain, Le fils du Nil, Le grand bouffon et La Dame du train, mais c'est dans Gare centrale (1958) qu'il donne libre cours à son génie, en tant que réalisateur et acteur à la fois. La maturité politique du réalisateur, quant à elle, s'affirme dans des œuvres ayant traité des thèmes politiques et révolutionnaires, à l'instar de Djamila l'Algérienne, Salah Eddine le victorieux (1963), L'Aube d'un jour nouveau (1965) et La Terre (1968), réalisé après la naksa de juin 1967, et qui marqua un deuxième tournant selon certains critiques. Animé d'une détermination farouche, Chahine a poursuivi sa carrière artistique, traduisant sa passion pour le cinéma selon sa propre vision «faisant fi des commentaires et critiques des autres artistes. Il présente dans les années 80 des travaux autobiographiques à savoir la célèbre trilogie Alexandrie pourquoi en 1979, la mémoire en 1982 et enfin Alexandrie encore et toujours en 1991. Son autobiographie refait surface en 2004 dans le film Alexandrie - New York qui retrace son expérience aux Etats-Unis dans les années 40 du siècle dernier ainsi que sa vision des attentats du 11 septembre 2001. De nombreux prix ont récompensé les travaux de ce grand cinéaste, lors des festivals arabes et internationaux dont «le Tanit d'or» au festival de Carthage en 1970 pour l'ensemble de ses travaux et «l'ours d'argent» en 1979 pour son film Alexandrie pourquoi. En 1997, il reçoit le prix du cinquantième anniversaire du festival de Cannes pour l'ensemble de son œuvre. Une hémorragie cérébrale a plongé Chahine dans le coma le 15 juin au Caire. Un mois après son hospitalisation à Paris où il avait été transféré en raison de son état critique, Chahine a de nouveau été transféré en Egypte pour être admis à l'hôpital des forces armées du Caire. Une relation d'amour avec l'Algérie l Le cinéaste algérien et ami de Chahine, Ahmed Rachedi a affirmé hier que le dernier projet de Chahine «qui n'a pu voir le jour, était un film sur l'Algérie qui devait être réalisé en Algérie». Le réalisateur a ajouté que «Chahine voulait poser les jalons de la construction d'un cinéma arabe à partir de son expérience dans la production de films avec l'Algérie». Chahine a été le premier cinéaste à réaliser un film sur l'Algérie en pleine Guerre de libération nationale, a rappelé Rachedi, soulignant que son film sur Djamila Bouhired avait aidé la Révolution et contribué à faire connaître la question algérienne. La rencontre d'Ahmed Rachedi avec le cinéaste égyptien remonte aux premières années de l'indépendance, à l'occasion de manifestations cinématographiques arabes. «Le lien entre Chahine et l'Algérie fut scellé à l'occasion de la réalisation de son film sur la défaite arabe de 1967 (le moineau), produit grâce aux moyens que l'Algérie avait mis à son service», a-t-il souligné. «À cette époque, les producteurs avaient refusé de soutenir son film», a-t-il relevé, rappelant que le soutien de l'organisme du cinéma algérien de l'époque, qu'il dirigeait d'ailleurs, avait ouvert la voie pour une autre production intitulée le retour de l'enfant prodigue qui avait vu la participation d'acteurs algériens, à l'instar de Sid Ali Kouiret. Le cinéaste Ahmed Rachedi a rappelé aussi que le défunt avait produit des films sur les 10 femmes les plus célèbres du monde arabe du siècle passé pour le compte de l'Union européenne, soulignant qu'il avait dédié deux films à des femmes algériennes, en l'occurrence la moudjahida Louisette Ighil Ahriz et la fameuse chanteuse du raï, cheikha Remiti, que Rachedi avait lui-même réalisés.