Dans le coma depuis le 16 juin dernier, le grand cinéaste égyptien s'est éteint, hier, à l'hôpital militaire de Maadi au Caire. Il est parti le grand homme. Même si cette disparition était attendue après l'entrée du cinéaste dans le coma, son décès n'en est pas moins ressenti comme une grande perte non seulement par le monde artistique et cinématographique égyptien, mais aussi par les intellectuels arabes et tous ceux qui, au long des années, ont suivi et apprécié le travail d'un homme inspiré qui avait l'Egypte dans les tripes et savait la mettre en représentation - à travers ses films et notamment sa fameuse trilogie autobiographique Alexandrie - comme personne. C'est hier que la nouvelle est tombée, fatidique, Youssef Chahine n'est plus, qui tira sa révérence à l'âge de 82 ans après avoir passé six semaines dans le coma à la suite d'une hémorragie cérébrale. «Youssef Chahine est décédé à 03h30 (00h30 Gmt) ce matin, à l'hôpital militaire de Maadi», dans la banlieue du Caire, a déclaré son ancien disciple, le réalisateur Khaled Youssef. L'annonce de sa mort a été aussi faite, hier, par la télévision égyptienne qui a retracé sa carrière et diffusé des extraits de ses films. Avec lui, disparaît le plus grand cinéaste égyptien et arabe. Il est parti certes, mais le monstre sacré du cinéma égyptien laisse derrière lui une filmographie exceptionnelle où figurent plusieurs chefs-d'oeuvre tout au long de sa très riche carrière s'étalant sur plus d'un demi-siècle. Youssef Chahine a été victime d'une hémorragie cérébrale qui a nécessité son transfert et son hospitalisation, le 16 juin, à Paris, date depuis laquelle il était plongé dans le coma. De nombreux acteurs et actrices, qu'il eut à diriger, réagirent à chaud, hier, dès l'annonce de son décès. Ainsi, la grande actrice égyptienne Yussra a estimé qu'il a été une «personnalité mythique du cinéma arabe» alors que l'acteur Nour Chérif renchérit: «C'était l'un des cinéastes les plus importants du monde, et pas seulement du monde arabe.» En effet, Chahine a été un cinéaste important par son apport au 7e art par la mise en image d'un cinéma différent, social et militant, engagé pour reprendre le thème usité, traitant de fait du peuple et des méfaits des politiques. El Ardh (la Terre, 1970), un chef-d'oeuvre sublime, Bab El Hadid (Cairo Station, 1958, avec un certain Farid Chawki et la grande Hind Rostom) sont des films illustrant parfaitement la philosophie de Chahine et montrant le petit peuple de l'Egypte que celui-ci soit ancré dans la capitale, Le Caire, ou vivant dans ces terres lointaines arrosées par le Nil dont il sut mieux qu'aucun autre cinéaste restituer la vérité. Comme un autre grand égyptien, l'écrivain Albert Cossery, mort récemment à 94 ans, Youssef Chahine a montré en image ce petit peuple que Cossery décrivait avec maestria dans ses romans, notamment son célèbre Mendiants et Orgueilleux. L'engagement politique de l'enfant d'Alexandrie a été marqué, notamment, par deux films aujourd'hui cultes, Djamila l'Algérienne (1958) en hommage à la militante et résistante algérienne Djamila Bouhired, et El Ousfour (Le Moineau, 1970) sur la guerre des Six Jours et la démission des dirigeants arabes. D'ailleurs, cet engagement politique ne lui valut pas que des satisfecits mais le mit en porte-à-faux avec le pouvoir du Caire dont il était l'un des plus sévères critiques et avec qui les relations étaient «très mauvaises», ne manquait pas de souligner le cinéaste rebelle à toute forme de soumission. Toutefois, bien qu'il ne fut pas en odeur de sainteté pour le pouvoir, le président Hosni Moubarak, dès l'annonce du coma de Youssef Chahine, a fait prendre les dispositions nécessaires pour son transfert en France, avisant que l'Etat égyptien prendrait à ses charges ses frais d'hospitalisation en France, à l'hôpital américain de Neuilly, près de Paris. Parmi les autre films les plus importants de Chahine, il y eut en 1964, un chef-d'oeuvre historique El Naser Salah el Dine (Saladin, le Victorieux). Dans les années 80 et 90, en rapport avec la montée en puissance de l'islamisme et de l'intégrisme, Youssef Chahine s'attaqua à ce phénomène en produisant quelques films, dont le plus emblématique reste Al Massir (le Destin, 1997). Il réalisa également entre 1978 et 2004 une trilogie sur sa ville natale, Alexandrie, grande métropole et rivale du Caire. Film autobiographique, Iskindiriah...Leh (Alexandrie... Pourquoi, 1978), Iskindiriah, kaman oua kalan (Alexandrie encore et encore, 1991) enfin Iskindiriah... New York (Alexandrie...New York, 2004) retrace la vie de jeunesse et d'adolescence d'un Alexandrin, dont le destin était intimement lié à celui de sa ville natale où le cinéaste, tout en se racontant, retrace surtout l'histoire d'une ville qui l'a toujours subjugué. On ne peut clore ce rapide flash-back sans noter que c'est lui qui mit les pieds à l'étrier à un autre phénomène de la culture et du cinéma arabe et égyptien, un autre monstre sacré, Omar Sharif. Sharif avait 22 ans en 1954 lorsque Chahine en fit son héros dans le film Ciel d'enfer suivi, coup sur coup, par Lutte sur le Nil en 1956 et Les Eaux noires encore en 1956. Omar Sharif, devenu ainsi l'acteur fétiche de Youssef Chahine, est aussi au summum de l'affiche du 7e art universel...et hollywoodien. La disparition de Youssef Chahine, après celle du grand écrivain Albert Cossery, laissera un grand vide dans le cinéma égyptien. Les funérailles de Chahine auront lieu aujourd'hui au Caire. Le cinéaste sera ensuite enterré dans le caveau familial à Alexandrie, la grande ville du Nord où il est né en 1926, a précisé l'agence officielle égyptienne Mena.