L'auteur de la trilogie autobiographique sur Alexandrie est décédé hier à l'âge de 82 ans dans un hôpital cairote. Le géant du cinéma égyptien, le militant infatigable, cet amant de l'Egypte qui n'a d'égal que Fouad Nejm et Cheikh Imam, a eu des funérailles officielles au Caire avant d'être enterré dans le caveau familial dans son Alexandrie qui l'a vu naître en 1926. Youssef Chahine a su mettre à nu l'Egypte, en mettant en scène, à travers une riche filmographie, les paradoxes de son pays, ses misères, sa grandeur et les menaces qui le guettent. Sa dernière œuvre, le Chaos, en est l'illustration parfaite. Dès les premières images du film co-réalisé avec Khaled Youssef, le chaos prend corps. Une scène d'émeute, durement réprimée, ouvre ce long-métrage qui s'inscrit dans la plus pure tradition du cinéma égyptien pour délivrer un message politique fort. Dénoncer les dérives de cette Egypte qu'il aime tant, c'est l'un des exercices préférés de Youssef Chahine. Le Chaos est l'allégorie d'un Etat miné par la corruption. Un mal incarné par Hatem, policier véreux qui règne en maître absolu sur le quartier populaire de Choubra, au Caire, et ses habitants. Exception faite de Nour, jeune femme moderne qu'il convoite et harcèle de ses assiduités. Il ne sait d'ailleurs à quel saint se vouer pour trouver le chemin de son cœur. L'homme personnifie une Egypte rongée par l'impunité, où une minorité, guidée par ses propres intérêts, décide pour une majorité brimée, violentée et qui vit dans une pauvreté grandissante. Au milieu de ce chaos, des femmes et des hommes se battent, mettent leur jeunesse et leur fougue au service de l'avènement d'une Egypte nouvelle. Des étudiants ou encore le substitut du procureur, Cherif, dont Nour est amoureuse, toujours soucieux de faire de la loi un garant des libertés individuelles. A 81 ans, l'homme est toujours sans concession à l'égard de son pays, notamment de ceux qui participent à sa ruine. Tout en soulignant que ceux qui lui font du mal ne sont pas ceux qui l'aiment le moins. Bien au contraire : le personnage de Hatem en est la parfaite illustration. Avec le Chaos, Youssef Chahine démontre encore une fois une fidélité à toute épreuve à ses convictions. «Dans le Chaos, dit-il, je tente de mettre le doigt sur le destin de mes compatriotes, qui ont si peu à dire en ce qui concerne les affaires du pays. Démunis de presque tout, éducation, moyens de communication, ils souffrent d'une lourde répression imposée par le pouvoir.» Et à un cinéma dont il est devenu l'un des plus grands ambassadeurs sur la scène internationale. Le Chaos figurait, cette année, dans les sélections officielles de la Mostra de Venise 2007 et du Festival du film international de Toronto. Bon francophone, Youssef Chahine reçoit une éducation en anglais au Victoria College d'Alexandrie. Attiré par le cinéma et l'interprétation, il préfère s'exiler à Pasadena, en Californie. De retour en Egypte, Alvise Orfanelli, pionnier du cinéma en Egypte, lui propose de réaliser en 1950 son premier film Papa Amine. Dès lors, il multiplie les œuvres cinématographiques, s'efforçant de lutter contre la censure qui se montre de plus en plus oppressante. Alliant la dénonciation à l'analyse, ce cinéaste engagé révèle au public ses avis éclairés que ce soit dans l'Emigré ou le Destin, dans lequel il accuse le fanatisme religieux. Il réalise également quelques productions autobiographiques : Alexandrie pourquoi ?, la Mémoire et Alexandrie, encore et toujours. Suite aux événements tragiques du 11 septembre 2001 à New York, Youssef Chahine et dix autres réalisateurs de cultures différentes se sont réunis pour donner naissance à un témoignage collectif le 11'09'01 September 11, primé meilleur film de l'Union européenne. Il revient ensuite à ses premières amours en signant Alexandrie… New York, puisant de nouveau dans son parcours personnel. Il participe ensuite au film collectif Chacun son cinéma réalisé pour le 60e anniversaire du Festival de Cannes, avant de livrer le Chaos, un drame largement salué par la critique. Admiratif de la guerre de libération nationale, Chahine s'est inspiré des trois Djamila, (Bouhired, Bouazza et Boubacha) pour réaliser Djamila l'Algérienne en 1958 en pleine lutte algérienne pour son émancipation politique. A. G.
Filmographie de Youssef Chahine
Le réalisateur égyptien Youssef Chahine, décédé hier à l'âge de 82 ans dans la banlieue du Caire, a marqué de son empreinte le cinéma arabe du XXe siècle. Ses œuvres majeures sont connues et appréciées dans le monde entier, en particulier en Occident. Voici la filmographie de Youssef Chahine.
- 1950 : Papa Amine (Father Amine) - 1951 : le Fils du Nil (Son of the Nile) - 1953 : la Dame du train (Lady one the Train) - 1953 : Femmes sans hommes (Women Without Men) - 1954 : Ciel d'enfer (The Blazing Sky) - 1954 : le Démon du désert (Desert Devil) - 1956 : les Eaux noires (Dark Waters) - 1957 : Adieu mon amour (Farewell my Love) - 1957 : C'est toi mon amour (My One and Only Love) - 1958 : Gare centrale (Cairo : Central Station) - 1958 : Djamila l'Algérienne (Jamila, the Algerian) - 1959 : A toi pour toujours (Forever Yours) - 1960 : Entre tes mains (In Your Hands) - 1961 : l'Appel des amants (A Lover's Call) - 1961:Un homme dans ma vie (A Man in my Life) - 1963 : Saladin (Saladin the Victorious) - 1964 : l'Aube d'un jour nouveau (Dawn of a New Day) - 1965 : le Vendeur de bagues (The Ring Seller) - 1968 : Ces gens du Nil/Un jour sur le Nil (Those People of the Nile) - 1969 : la Terre (The Earth) - 1970 : le Choix (The Choice) - 1971 : Sables d'Or (Golden Sands) - 1972 : le Moineau (The Sparrow) - 1976 : le Retour de l'Enfant prodigue (The Return of the Prodigal Son) - 1978 : Alexandrie, pourquoi? (Alexandria... Why ?) - 1982 : la Mémoire (An Egyptian Story) - 1985 : Adieu Bonaparte - 1986 : le Sixième Jour (The Sixth Day) - 1990 : Alexandrie encore et toujours (Alexandria Again and Forever) - 1994 : l'Emigré (The Emigrant) - 1997 : le Destin (Destiny) - 1999 : l'Autre (The Other) - 2001 : Silence...on tourne (We're Rolling) - 2002 : 11'09'01 - September 11 (film collectif) - 2004 : Alexandrie ... New York (Alexandria ... New York) - 2007 : le Chaos (Chaos) - 2007 : Chacun son cinéma (To Each His Cinema), (film collectif)