Nous sommes en octobre 1804, et la France entière prépare avec passion un événement d'importance : le couronnement de Napoléon Ier, empereur des Français, jusqu'alors Napoléon Bonaparte, stratège et chef militaire hors pair. Que de détails pour faire de cette cérémonie un grand moment d'histoire ! Le futur empereur tient à laisser aux générations à venir une image grandiose, splendide, impressionnante dans les moindres détails. Un de ces détails est la couronne que Napoléon Ier portera lors du sacre. Une simple couronne de feuilles de laurier, inspirée de la Rome antique. Les lauriers de la victoire, les lauriers de la gloire. Cette couronne sera toute d'or fin. Comment pourrait-il en être autrement ? L'orfèvre chargé de la création de cette superbe pièce de joaillerie, est Martin-Guillaume Biennais, établi au 283, rue Saint-Honoré. Il est arrivé très jeune de Normandie où il est né, prés d'Argentan, en 1764. Dans sa boutique ornée de tentures sombres, les clients de la noblesse d'Empire peuvent choisir entre pièces d'argenterie, aiguières de vermeil, délicats nécessaires à couture d'écaille et d'or, bijoux ornés de miniatures et de pierres précieuses, épées d'apparat et merveilleux nécessaires de voyage. D'ailleurs, il suffit de lire ses réclames : «Biennais, marchand tablettier, ébéniste et éventailliste, tient fabrique et magasin de meubles, secrétaires, commodes, tables de jeux de toutes les espèces, nécessaires de toilette, pour hommes et pour femmes, garnis en argent vermeillé, plaqué et argenté.» Il propose encore «de jolis ouvrages de fantaisie des plus à la mode, des trictracs en tables ployantes, des damiers, des jeux d'oyes, de Juifs, de Renard, et généralement tout ce qui concerne l'amusement des dames.» Le bureau du maître, situé derrière la boutique, est décoré d'aquarelles et de dessins qui furent les premières ébauches des pièces les plus prestigieuses sorties de ses ateliers. C'est lui le maître de ces coffrets d'acajou dans lesquels sont rangés, au millimètre près, des accessoires pour le confort du voyage. C'est lui le roi du tiroir à secret, de la mécanique cachée. Aujourd'hui, Martin-Guillaume Biennais s'apprête à faire lui-même une livraison d'importance : il s'agit de la couronne de feuilles de laurier prévue pour la cérémonie du lendemain. La calèche qui attend doit l'emmener au palais des Tuileries. Durant le trajet, Biennais songe aux dix années passées : que d'événements imprévus, de bouleversements de la société française et de l'Europe entière. Et tout cela à cause, ou plutôt grâce à un petit général corse, maigre, au teint jaune, qui vint autrefois chez lui. Il allait partir pour l'Égypte et avait besoin d'un nécessaire de voyage qui tienne un minimum de place, tout en permettant le maximum de confort quotidien. Autant dire le genre de petite merveille dont lui, Biennais, s'était fait une spécialité. Mais le général n'avait pas les moyens de payer comptant un tel nécessaire. Biennais, confiant en l'avenir, lui avait dit alors : «Emportez-le, mon général. Je suis certain que vous aurez bientôt les moyens de vous l'offrir.» Mais, au retour d'Egypte, Bonaparte est toujours aussi impécunieux. Or, s'il pouvait vivre modestement en parcourant la plaine des Pyramides sur son chameau, il se doit d'avoir à présent, pour son installation à Paris, une maison digne de lui, et de la vaisselle qui lui permette de recevoir dignement les maîtres du moment. (à suivre...)