Quête Nacer est en manque. Il lui faut impérativement sa dose habituelle. D?un pas tranquille, il déambule dans les ruelles de la Place d?Armes, derrière le Cours. Il s?engage dans des passages pavés, serrés entre les hauts murs de maisons plusieurs fois centenaires. De temps à autre, une porte de bois ancienne, noircie par les ans, est ouverte sur une entrée sombre, mystérieuse. Nacer presse le pas, légèrement essoufflé par la côte qui le mène vers Djamaâ Boumerouane, qu?il laisse derrière lui. Avançant maintenant d?un pas rapide, il s?arrête devant une maison et, levant la tête vers une étroite fenêtre bardée de fer forgé, il crie : «Djamel ! Ya Djamel !» Son ami apparaît à la fenêtre, lui fait un signe et descend le rejoindre? Il lui remet le produit-miracle. Nacer tire sur son joint, les yeux à demi fermés, savourant de tout son être la drogue qui, comme par enchantement, efface ses douleurs. Tout en fumant, il traverse le pont de la Citadelle. Un moment, il s?appuie au parapet, admirant la vue sur le port. En bas, minuscules, les voitures circulent et Nacer les suit un moment du regard, amusé. Puis il longe la corniche, euphorique. Les promeneurs sont rares, il est midi passé. Le soleil brille, haut par cette belle journée de printemps, et Nacer, comme sur un nuage, chantonne. Un bus passe et il entrevoit, l?espace d?une seconde, le visage d?une femme appuyé sur la vitre, les yeux fermés, visiblement endormie. «Je vais aller à el-Katara, décide-t-il? la dernière fois, j?ai trouvé deux cents dinars dans le trou !» Quand il descend les larges escaliers de pierre qui mènent vers les rochers surplombant la mer, il n?y a personne. Prestement, il fouille l?orifice de la roche où les visiteuses qui formulent un v?u pour Lala el-Katara glissent quelques pièces en offrande, qui serviront au «gardien» de la place pour acheter du henné et des bougies pour honorer «la dame». Nacer ramasse les pièces, les cache dans sa poche, puis s?installe sur une marche, éloigné du «trou», prenant l?air d?un promeneur qui se repose un moment devant la vue merveilleuse sur la mer et les rochers qu?offre le promontoire. Quelques minutes après, un homme âgé arrive, descend prestement les marches et inspecte les lieux. «Ils ont encore égorgé des coqs sans nettoyer la place !», peste-t-il. Il prend un petit balai caché entre deux grosses pierres et entreprend de brosser le sang séché sur la roche plate. Et tout en travaillant, l?homme bavarde sans arrêt. Nacer l?écoute distraitement, puis avec attention quand il lui dit : «Mon fils a acheté un visa, et il est au Canada maintenant ! Il s?arrête un moment de frotter, et continue, visiblement satisfait. ? Il a tout ce qu?il désire, une grande et belle maison, une voiture, il s?est marié l?an dernier, il a pris sa femme et il est retourné là-bas ! Et toi? Quel âge as-tu ? Que fais-tu dans la vie, fiston ? ? J?ai vingt-sept ans? Chômeur ! répond Nacer dans un soupir. ? Eh ! qu?est-ce que tu veux ? Tu n?es pas le seul ! Mais si tu peux acheter un visa? Et il continue son bavardage. Nacer, les yeux perdus sur la ligne foncée de l?horizon, l?écoute maintenant avec attention. ? Il faut de l?argent ! répond-il, et moi? ? Tu n?as personne qui peut t?en prêter ? La famille ? Tu les rembourseras plus tard, quand tu reviendras ! Akfez ! Sinon, tu resteras comme ça toute ta vie ! Vingt-sept ans ! Il est temps de te lancer, ya ouled ! Quand mon fils Oualid est parti, il avait vingt-cinq ans !» Sous leurs pieds, les vaguelettes bordées d?écume viennent s?échouer sur les rochers. Leur bruit se mêle à celui de la petite chute d?eau douce qui se jette à la mer. «De l?eau douce près de l?eau salée, se dit Nacer, c?est un miracle ! Tout est possible dans la vie !» Et son petit nuage le transporte au-delà de la mer, dans un pays nommé Canada?(à suivre...)