Rituel Il n?est que 11h et, déjà, on se prépare à déjeuner dans l?une et l?autre des maisons de la vieille ville. Des odeurs de cuisine flottent dans les ruelles parées de la place d?Armes que le soleil de mai n?arrive pas à réchauffer. Il faut dire que par ici on ne se cache pas pour vivre. Les femmes et les enfants qui, ne travaillent pas ou ne vont pas à l?école, commencent tôt leur journée et investissent carrément la chaussée pour d?interminables discussions et parfois pour des? prises de bec avec leurs voisins. Le Bônois, notamment celui habitant L?blaça, n?est pas de nature à taire sa gouaille. Il s?exprime haut et fort et n?hésite pas à entamer un brin de causette avec l?inconnu de passage de tout et de rien. Comme cette jeune maman qui nous raconte, en détail, alors que nous étions à hauteur de la porte de sa maison grande ouverte, la nuit agitée qu?a connue le quartier l?avant-veille, quand il y a eu cette bagarre entre des jeunes à cause du câble d?une antenne parabolique. Plus de bruit que de mal en somme, mais ça permet de rompre la monotonie ! C?est en pénétrant dans la place d?Armes que se font les contacts avec les gens qui y vivent et que naissent les clichés. La misère a toujours existé ici. Elle s?y est installée en des temps immémoriaux, nous assure-t-on. La Casbah de Annaba, construite à la fin du XIIIe siècle par les Sanhadjas, a toujours abrité la populace (pauvre, mais brave) venue de toutes les régions du pays. Kabyles, Jijéliens et Constantinois ont cohabité parfois dans le dénuement le plus total avec des fils de la ville dans le quartier-forteresse. Il en est qui ont élu domicile dans des maisons bien à eux sur les hauteurs qui font face à la mer. Ceux-ci, mieux nantis que leurs concitoyens logés dans des appartements menaçant ruine ou dans les minuscules pièces des nombreux haouchs qui constituent l?essentiel des habitations de la place d?Armes, se considèrent un peu comme des notables auxquels on voue respect et considération et qui sont issus des vieilles familles de propriétaires. On dit que certains descendent des dignitaires tunisiens qui ont construit La Casbah de Annaba à l?avènement du roi de Tunis en 1300. D?autres sources affirment que les vrais occupants de la vieille ville étaient d?origine turque et qu?ils furent remplacés par des Gênois dès le départ de la garnison installée par la force par Kheireddine en 1535. Mais cela n?est pas important pour nos amis protecteurs du patrimoine. Pour eux, la place d?Armes est un haut lieu historique à préserver des vicissitudes du temps et de la démolition programmée par la municipalité locale dans sa quête d?espaces propices à la construction de nouveaux logements et qui cherchent des fonds pour restaurer les résidences de style arabo-mauresque, les sites répertoriés et les ruelles parées.