Des parents louent leurs enfants qui deviennent une garantie de survie pour les autres membres de la famille. Le prix de la «location» d?un enfant est négocié selon le degré de richesse. En «règle» générale, moins l?enfant est âgé plus il «rapporte». «Au lieu de voir tous mes enfants mourir de faim ou apprendre à voler, j?en loue un à une mendiante professionnelle», explique ce père de famille, le plus sérieusement du monde. Cette pratique semble s?installer et faire tache d?huile : la location d?un enfant en bas âge que l?on sépare de sa mère et de son milieu familial. Brusquement, en une seconde, l?enfant sort de la maison et ne reviendra peut-être plus. Les parents sont loin d?être insensibles et inaffectueux, bien au contraire. «Nous sommes tout le temps avec nos enfants, puisque nous ne travaillons pas. Plutôt que de les voir souffrir des affres de la faim et de la privation, j?ai trouvé une mendiante professionnelle qui, moyennant de l?argent, a pris mon dernier. C?est une femme bien. Elle s?occupe du petit comme si c?était le sien. Quant à moi, j?ai pu avoir un petit capital. Je vends des bricoles et des sucreries, ça marche bien, peut-être que ce sera le commencement de la fin de notre misère. Et puis, moi, j'ai de la chance de pouvoir revoir de temps en temps mon enfant?», continue le père, placide. En arrière-plan, la maman. De grands yeux humides et d?une expression pénétrante, point de paroles. Elle se contente d?un : «Le paternel m?a demandé d?habiller mon petit. Il est revenu sans lui. J?ai pleuré et me suis tue, que puis-je faire ?» Et elle enfouit son visage dans ce qui lui sert de fichu dans ce? fichu trou à rats qui lui sert de foyer. Oran, deuxième wilaya d?Algérie, qui affiche une devanture de désinvolte richesse d?affairements dans tous les domaines comporte, en arrière-plan, des réalités de paupérisation qui s?intensifie. La sortie Est de la ville d?Oran, dotée d?un paysage verdoyant après les dernières pluies, est le tombeau de milliers de familles vivant dans le dénuement total. Notre virée sur les lieux nous confirme que les «affaires» semblent bien marcher au c?ur de cette bourgade nichée, tel un pain de sucre, sur un monticule boueux. En fait, d?«affaire», c?est d?enfants-otages qu?il s?agit. Ici, tout se marchande, tout se vend et tout se loue. Même et surtout les enfants. En tout cas, dans cette espèce de nouvelle «favela», la survie contraint des centaines de familles, pour la plupart des ruraux ayant fui le terrorisme et la misère d?une campagne qui n?arrivait plus à les nourrir, à utiliser leur progéniture. Plus loin, les langues se délient, à la manière de chez nous où tout fait boule de neige. Cette autre femme, dont le mari est mort, «loue» sa fillette. Elle la donne à un couple de mendiants professionnels qui, deux fois par semaine, lui verse un pécule. D?autres auront moins de chance : ils loueront leurs enfants pour ne plus les revoir? En définitive, on aura beau écrire sur la détresse des petites gens et sur leur dénuement, nul ne dépeindra la réalité d?une descente vertigineuse aux enfers que rien ne semble arrêter. Les mots sont impuissants et dénués de sens tant la charge de l?événement dépasse les concepts.