Il tue sa mère par strangulation et se débarrasse du corps qu'il cache dans un placard, au fond d'une cave. Sans scrupules ni remords, l'assassin décide de se rendre au commissariat le plus proche pour signaler la disparition de sa mère. Les services de sécurité, intrigués, diligentent une enquête. Le travail d'investigation mené sur le terrain, les entretiens et autres interrogatoires du voisinage et des membres de la famille de la défunte ont permis à la police de le démasquer. Arrêté et traduit devant le tribunal de Sidi M'hamed à Alger, l'auteur de cet horrible crime n'a pas nié son parricide, mais a avoué, « avec regret », avoir tué sa propre mère parce qu'elle avait refusé de lui donner de l'argent. Une somme qui lui aurait permis de se procurer de la drogue. Devant le juge, l'adolescent implore le pardon et admet avoir maltraité et tabassé sa mère à chaque fois qu'il était en manque. Le tribunal le condamne à une peine de cinq ans de prison ferme. On l'aura compris, l'assassin est un toxicomane et de surcroît sans revenu. Ce fait ne relève nullement de la fiction, c'est une histoire vraie qui a eu lieu dans un quartier populaire d'Alger en janvier dernier. Cette terrible tragédie nous renseigne sur une réalité ô combien amère : il s'agit du phénomène de la violence envers les ascendants. Le mauvais traitement infligé aux parents par leur progéniture s'avère aujourd'hui une autre forme de violence familiale, souvent présente, mais qui demeure encore un sujet tabou. Il est triste et déplorable de constater ce changement dans les us et coutumes de nos jours. Le personnage légendaire qu'est le père fouettard n'est plus en mesure de brandir son ceinturon. Son propre fils est par contre capable de le faire. Ces petits êtres efflanqués, sans foi ni loi, n'hésitent pas à hausser le ton devant leurs géniteurs, les menaçant, les méprisant, les insultant et les chassant même de leur domicile. Les plus odieux les battent jusqu'à ce que mort s'ensuive. Nous avons jugé utile de donner la définition exacte de ce qu'est la violence envers les ascendants. Les médecins mais aussi les sociologues expliquent que par sévices à l'égard des parents, on entend tout geste osé par un enfant, habituellement un adolescent, pour prendre le pouvoir sur un parent et le dominer. Il peut s'agir de violences physiques, psychologiques, ou d'exploitation financière. La violence physique, selon le docteur Belhadj, médecin légiste au CHU Mustapha, est la forme d'abus la plus visible et s'accompagne habituellement de violence psychologique. Cette dernière comprend la violence verbale et peut se manifester par des menaces de blesser ou de tuer les parents. Quant à l'exploitation financière, elle consiste à voler ou à emprunter sans permission, à endommager la maison ou les biens, ou exiger des choses que les parents ne peuvent se permettre d'acheter. Les garçons comme les filles agressent leurs parents, bien que, dans la majorité des cas, les garçons soient plus violents physiquement que les filles. D'aucuns confirment que certains adolescents violents sont des délinquants : ils consomment de manière abusive de la drogue, de l'alcool et vivent pratiquement de vols. Mais détrompez-vous, d'autres, qui pourtant sont classés dans la catégorie de « fils de bonne famille » et qui rougissent pour un oui ou pour un non, agressent et maltraitent leurs parents pour une question de biens et d'héritage. Toutefois, le phénomène n'a aucune limite sociale ou culturelle. Il touche des parents pauvres et riches, instruits, moins instruits et illettrés. Intimidation, séquestration, pincement... Cette forme de violence, qui inquiète bon nombre de citoyens, a suscité longtemps l'intérêt du corps médical. Preuve en est une étude sur les sévices envers les personnes âgées, s'étalant sur trois années, a été réalisée par le service de médecine légale de l'hôpital Mustapha. Les praticiens se sont penchés sur l'analyse des types de brutalité et les facteurs les favorisant. Ils ont également effectué une étude médico-légale à propos de 311 cas. Il ressort de cette enquête que les violences physiques représentent près d'un quart des sévices qui sont identifiés comme étant les coups, les gifles, les pincements, les chutes provoquées, les brûlures et aussi les séquestrations. Les plus fréquents sont les sévices psychologiques, mais qui sont difficiles à repérer, car ils sont soit sous forme d'insultes, de propos humiliants, ou d'intimidation et de menaces. La troisième forme de violence est aussi inhumaine que les deux autres, il s'agit d'isoler des personnes âgées ou alors de les placer carrément dans une maison de vieillesse. La dernière forme d'agression n'est autre que la négligence qui est définie comme étant la privation volontaire ou parfois involontaire de l'assistance nécessaire pour les besoins quotidiens de la personne âgée, notamment l'accès aux soins médicaux, la nutrition et l'hygiène corporelle. Le docteur Belhadj atteste qu'il a reçu dans son service des personnes âgées squelettiques et pâles. Traitement oblige, Dr Belhadj les hospitalise afin de détecter l'origine de la détérioration de leur santé. Il découvre, stupéfait, que les malades ont été privés de nourriture durant longtemps, souffrant de sous-alimentation et de malnutrition, particulièrement du manque de protéines. Il en résulte une faiblesse générale et diverses carences. « Nous avions eu des difficultés à trouver l'origine de leur souffrance, car nous n'avions jamais imaginé qu'en Algérie des enfants ou la grande famille oseraient priver leurs parents de nourriture », a révélé Dr Belhadj qui précise avoir accueilli dans son service des parents qui lui avaient confié dans la douleur qu'ils ne mangeaient pas à leur faim. Ces parents, qui ont sacrifié leur vie pour leurs enfants, sont aujourd'hui négligés par ces derniers. Elle est amère cette réalité, mais ne dit-on pas que l'ingratitude la plus odieuse, la plus commune et la plus ancienne est celle des enfants envers leurs parents ? Pour mieux illustrer ces propos et démontrer le degré de nuisance et de cruauté de certaines personnes à l'égard du troisième âge, un autre praticien nous fera part de sa découverte : il s'agit des traumatismes constatés sur des personnes acheminées vers son service et se plaignant de douleurs dans différentes parties du corps. Les ecchymoses sont dues essentiellement aux pincements. « Ces châtiments corporels sont infligés généralement aux parents soit par la belle-fille, soit par leurs petits-enfants », dira le médecin. Néanmoins, la discrétion des victimes rend la tâche difficile aux praticiens. « Les parents victimes de ce type d'agression font semblant d'ignorer l'origine des bleus. Il faut les comprendre, il n'est pas facile pour eux d'avouer que leurs propres enfants les maltraitent. En somme, ils ont honte de cette situation, mais en dépit de cela, ils ne veulent pas les dénoncer par crainte de les voir en prison. » Les auteurs de l'enquête sont parvenus à une conclusion selon laquelle les victimes et les agresseurs se connaissent parfaitement. « Pour que les sévices surviennent, il faut la rencontre d'un type de victimes avec un auteur dont les caractéristiques sont mieux connues. Ce qui sous-entend que, généralement, les parents sont battus par leurs proches, soit le fils, la fille, la belle-fille, le cousin... » Les psychologues ont pu établir le profil de l'agresseur et celui des victimes ainsi que les motifs de la violence. Les enfants adoptifs en bonne place De prime abord, il est constaté que ceux qui passent à l'acte sont pour la plupart des toxicomanes, des alcooliques et des chômeurs. L'association de ces trois éléments aboutit inévitablement à la violence. En outre, ce qui a frappé et choqué le plus les médecins, c'est de découvrir que les enfants adoptifs figurent en bonne place dans le classement des types d'agresseurs. Beaucoup de garçons, lorsqu'ils découvrent la vérité sur leur passé, se retournent contre leurs parents adoptifs et adoptent envers eux un comportement tout autre. Ils les accusent d'être responsables de leur sort. Ainsi, ces enfants deviennent incontrôlables. Ils commencent par fuguer de la maison, puis passent à l'étape du chantage financier et, dans le cas où les parents n'abdiqueraient pas, ils se ruent sur eux. Les parents inévitablement tombent dans un cercle vicieux et ne savent plus comment s'y prendre ni la démarche à suivre. « Avec le recul, nous avons compris pourquoi les couples, qui n'ont pas d'enfant, préfèrent, dans la mesure du possible, l'adoption des filles. Elles sont, il faut le dire, moins agressives et surtout reconnaissantes, comparativement aux garçons », affirme ce médecin. Les garçons adoptifs digèrent mal la vérité et déversent leur colère sur les parents qui leur ont offert un toit et une famille. En somme, ils se vengent en quelque sorte du fait qu'ils ont été abandonnés par leurs parents biologiques. De nombreux parents, devenus trop vieux, sont jetés à la rue, plusieurs d'entre eux atterrissent dans les auspices sous tutelle du ministère de la Solidarité. Un département dont les responsables pensent à mettre en œuvre une loi rigoureuse qui protégerait aussi les personnes âgées et défendrait leurs droits. Par ailleurs, les services de la gendarmerie se sont également penchés sur ce problème. A la question de savoir comment des enfants, surtout des adolescents, peuvent-ils s'en prendre à leurs parents, les gendarmes avancent, pour expliquer les violences sur les ascendants, que l'emprise de la drogue sur ces jeunes est l'une des raisons qui les poussent à être violents. En tout état de cause, les résultats sont horrifiants. Parmi les infractions les plus courantes, les violences physiques et les menaces occupent une place prépondérante. Des statistiques de la Gendarmerie nationale, retraçant les affaires de ces six dernières années, recensent une cinquantaine de parricides. Parmi les auteurs, quatre sont des mineurs. Sur un total de près de 7000 affaires, impliquant aussi des coups et blessures volontaires, des menaces et des injures, 4000 individus ont été arrêtés, dont plus de 150 de moins de 18 ans. Depuis 2001, près de 500 affaires sont traitées annuellement par les services de la gendarmerie. Ceci démontre l'étendue du phénomène. Les parents, souffrant d'infirmité permanente, surtout les plus âgés, sont les victimes les plus exposées. A travers les statistiques, il apparaît clairement que les ascendants directs, c'est-à-dire le père et la mère, ou indirects, en l'occurrence les grands-parents, oncles, tantes, n'ont plus honte de porter plainte contre leurs « bourreaux ». Sans doute, leur silence est devenu intolérable. Sur ce point, un psychologue confirmera qu'aujourd'hui beaucoup de parents battus expriment leur désarroi, ils veulent juste une aide, un conseil et des orientations. « Dans la plupart des cas, nous demandons aux victimes de déposer plainte. Conscients de la difficulté de ce geste, les plaignants veulent des garanties et une assistance après la sortie de leurs enfants de prison. Parce que dans le cas contraire, les personnes maltraitées vivront toujours l'enfer. »