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Enfants du maquis : une renaissance au forceps
Nés de parents terroristes, ils vivaient comme des bêtes traquées dans la montagne
Publié dans Liberté le 26 - 10 - 2003

Face aux orphelins du terrorisme, tous ces enfants dont les parents ont été massacrés, ils se sont attelés à un travail de réparation soutenu. Mais quand, le 7 octobre dernier, ils ont vu arriver dans les véhicules de la gendarmerie ces êtres chétifs et effarouchés, mi-enfants, mi-loups, tout leur savoir-faire s'est avéré dérisoire, inutile.
Tout est paisible quand, tout à coup, un vent de panique s'abat sur la Cité des enfants. Dans la cour, les garçons qui se lançaient joyeusement la balle ronde, interrompent brusquement leur jeu et courent se réfugier dans les arbres. Tout aussi affolées, de petites filles qui se trouvaient au même moment sous le préau se précipitent dans les bras de leurs aînées et forment une sorte de troupeau guetté par un loup. Pourtant, ni le loup ni aucune autre bête féroce ne sont à l'origine de cette frayeur soudaine. L'animal en cause est mécanique. Il s'agit d'une voiture qui franchit le seuil de l'établissement et dont le vrombissement, tel un grognement menaçant, ravive auprès des enfants un des réflexes d'autodéfense, ancrés dans leur mémoire mutilée. “Ça se passe toujours ainsi. La plupart ne connaissent plus ce qu'est une voiture et ils en ont peur”, rapporte une éducatrice familiarisée avec ce comportement saugrenu. Ahurissante, désarçonnante, sa révélation dévoile l'étendue du crime dont les petits yeux de bête traquée, les cris d'affolement et les corps agiles en fuite sont l'expression terrible, affligeante.
Dans la Cité des enfants, ce centre d'aide et de réinsertion juvénile de la ville de Sétif, les histoires dramatiques qui ont conduit chacun des nombreux locataires à devoir se contenter de la charité de l'Etat pour se nourrir d'espérances, expriment leur besoin lancinant d'une famille. À celle que les bébés abandonnés sur un coin de trottoir n'appartiendront jamais, se sont substituées les attentions rémunérées du personnel du centre. À la démission de parents qui ont produit des adolescents fugueurs, les éducatrices et les psychologues ont trouvé un palliatif en se fiant à leurs connaissances didactiques. Face aux orphelins du terrorisme, tous ces enfants dont les parents ont été massacrés, ils se sont attelés à un travail de réparation soutenu. Mais quand, le 7 octobre dernier, ils ont vu arriver dans des véhicules de la gendarmerie ces êtres chétifs et effarouchés, mi-enfants, mi-loups, tout leur savoir-faire s'est avéré dérisoire, inutile. Pour cause, les nouveaux venus n'ont pas uniquement besoin de réconfort. Leur vie est tributaire d'une reconstruction, d'une renaissance. Nés au mauvais endroit et de mauvais parents, ils sont le fruit empoisonné d'un arbre généalogique que des illuminés ont voulu voir prospérer en l'abreuvant du sang de leurs ennemis. “Ce sont les enfants des terroristes capturés aux Babors”. Chargé par le juge des mineurs de leur offrir le gîte, le directeur de la Cité des enfants, M. Sadki, ne savait pas plus de ses nouveaux pensionnaires. Le reste, tout le reste, cette peur qui noue leurs ventres dès qu'ils voient un avion survoler le ciel, le dégoût qu'ils ont des femmes dévoilées, leur rigorisme et leur zèle, il l'apprendra consterné au fil des jours. Le premier jour, quand les quatre-vingts petits soldats de Dieu — dont les plus âgés ont à peine 15 ans et les plus jeunes deux ans — descendent des véhicules de la gendarmerie, le directeur écoute leurs mères les instruire des règles à ne pas enfreindre. “Ne leur faites pas confiance. Ce sont des infidèles”, s'écrient les femmes sous leurs voiles amples. En les regardant partir pour la prison, les enfants geignent de douleur. Pour la première fois, ils sont séparés de leur maman et de leur monde. “Au début, les garçons ne voulaient pas porter des pantalons longs tandis que les filles se sont accrochées fermement à leur foulards”, dit la gouvernante. Dans la penderie de l'établissement où elles sont emmenées, les filles se rabattent sur des vêtements de femmes, des robes si larges et si longues qu'elles les traînent quelquefois sur le sol. Si certaines font montre à cet égard d'une conviction sans faille, d'autres, à l'instar de Bouchra, se plient à cette règle vestimentaire avec contrariété. “Contrairement aux plus petites, Bouchra n'a connu que le foulard dans sa vie”, explique avec pertinence la gouvernante. En effet, avant son départ au maquis en 1997, l'adolescente, qui a aujourd'hui 13 ans, vivait dans une localité de Jijel où la terreur intégriste avait, certes, instauré “l'uniforme” pour les femmes mais celles qu'elle voyait à la télévision ne le portaient pas. À l'époque, la petite “lucarne” n'était pas encore haram à ses yeux. “Non, c'est une résurrection du diable”, rectifie aujourd'hui Bouchra, embarrassée. Les dogmes qui ont muré son esprit, la rigueur qui transparaît sur son hidjab, tranchent avec ce sourire désinvolte qui vient se loger de temps à autre au coin de ses lèvres et toutes ces bagues qui habillent ses doigts. Les bijoux de fantaisie viennent de la penderie de l'établissement où Bouchra s'est rendue pour choisir sa robe. Depuis, elle n'arrête pas de les admirer, réconfortée par cette coquetterie qui force sa féminité réprimée jusqu'alors. Sur injonction des terroristes qui l'entouraient, elle devait cacher ses atouts. Mais au lieu d'être un refuge, le voile n'a pas su la protéger des convoitises de l'“émir” et de ses acolytes. Comme sa mère remariée de force après la mort de son époux dans une embuscade, elle était promise à son tour à un des membres du groupe. La célébration de ses noces devait se dérouler sous peu. N'était l'intervention des militaires. “Alors, dis-nous comment se déroulent les mariages dans la montagne ?”, lui demande-t-on. La jeune fille fait la moue : “Les mariages…” Après un court moment d'hésitation, elle révèle que les noces sont très austères. Les hommes lisent la Fatiha sans le consentement de la concernée qui doit recevoir dans sa couche l'élu de sa fâcheuse destinée. De ses unions forcées, les femmes sont très souvent contraintes à des grossesses non désirées. Bouchra a huit frères et sœurs, d'au moins trois hommes différents. “Une fois, ma mère a failli mourir car le bébé n'arrivait pas à sortir de son ventre”, raconte-t-elle, encore tétanisée. En l'absence d'aide médicale, les femmes accouchaient et prenaient en charge seules leurs progénitures. “Deux bébés sont morts, une fois, de froid”, révèle Bouchra. Prémunis contre la mort, les petits rescapés des hivers rudes, à plus de 2 000 mètres d'altitude, n'étaient pas pour autant mieux lotis. Soumis à une discipline de fer, ils avaient le cerveau hypertrophié et le ventre creux. Ils ne mangeaient jamais à leur faim, mais leur crâne était bourré de préceptes aliénants. “On se levait tous les jours à l'aube pour la prière d'El Fadjr. Les retardataires et les absents recevaient la falaka”, témoigne Mouad, sans émotion. Pour lui, le châtiment est justifié. À la Cité de l'enfance, il continue encore à observer le même rituel. Ne manquent plus que les halakates que l'“émir” et ses adjoints officiaient au maquis. Le manichéisme rigoureux présidait à ce genre de séances où la communauté était décrite comme le peuple choisi par Dieu sur terre pour combattre les impies et les anéantir. Des infidèles, Mouad ne connaît que les hommes aux treillis verts, les militaires qu'il a vus pour la première fois devant la casemate où il se cachait avec les femmes et les autres enfants, il y a à peine deux semaines. Auparavant, il entendait parler de ses “askars” comme des taghouts. Maintenant, il ne sait plus. Les soldats ne lui ont fait aucun mal. Au contraire, ils lui ont donné des vêtements et l'ont nourri. Manifestement, la confusion s'est installée dans la tête de ce petit garçon qui croyait jusque là appartenir au groupe des bons contre les méchants. De toute façon, pour lui, les méchants n'étaient que des fantômes. Emmené à l'âge de trois ans au maquis par son père, il ne se souvient pas de sa vie antérieure. Les seuls êtres qu'il connaît sont les terroristes. Son seul monde, la forêt. C'est là-bas qu'il a appris qu'il vivait dans un pays qui s'appelle l'Algérie et que ce pays à un président. “Oui, je le connais, c'est Bouteflika, adouw Allah (l'ennemi de Dieu)”, exulte Mouad. À 12 ans, le moudjahid en herbe connaît le maniement des armes. Tout petit, il s'entraînait sur des fusils de bois. Maintenant qu'il maîtrise l'art de la guerre, il l'apprend à ses cadets. Dans la cour de la Cité des enfants, il est fréquent de voir des chérubins alignés en rang, un rameau en bandoulière et marchant au pas sous les ordres de Mouad. “Nous les laissons faire. Car nous ne voulons pas les brusquer”, soutient une psychologue. Quand les enfants mettent un genou à terre pour boire de l'eau, les éducatrices n'essayent pas non plus de les retenir. Pour l'heure, elles découvrent encore, médusées, les us et les coutumes de cette étrange communauté juvénile qui, à son tour, s'ouvre à la civilisation. “Les plus petits surtout, plus nombreux, ne savent pas ce qu'est une table, une chaise, un lit, l'électricité”, indique la gouver-nante. De sa brosse à dents et de son denti-frice, Mouad a constitué un trésor qu'il cache à l'intérieur de son oreiller. Abderrahmane, fils d'“émir”, ne se sépare pas de son ballon. Il n'en a jamais vu un auparavant. “On étudiait beaucoup dans la montagne. On n'avait pas le temps de jouer”, dit-il pour justifier son engouement pour les parties de dribble. Dans un arabe littéraire châtié auquel tous les enfants se conforment scrupuleusement, Abdellah récite des sourates du Coran qu'il a apprises. Les filles, exclues des Dourouss, disent avoir appris le Coran auprès de leurs mères. À leur arrivée au centre, elles ont exigé que des livres saints soient mis à leur disposition. Les plus âgées qui, souvent, sont analphabètes, font réciter les plus jeunes. Sarah, trois ans, n'est plus très assidue. Aux cours, elle préfère quelquefois aller jouer avec sa poupée Barbie. “Quand j'ai voulu la lui offrir, elle a pris un air horrifié en arguant que les poupées sont une réincarnation du diable”, relate incrédule une éducatrice. Quelques jours plus tard, Sarah se saisit de la poupée abandonnée sur une chaise. Elle ne la quitte plus depuis. Un peu grâce à Barbie, le démon, la fillette commence à exorciser ses vrais démons.
S. L.
La réparation, un défi
Jamais dans leurs carrières, les psychologues de la Cité de l'enfance, principalement des femmes, n'ont eu à traiter pareils cas. Comment peuvent-elles, en effet, expliquer à ces enfants que l'éducation parentale dont ils ont fait l'objet est une atteinte à leur santé mentale et à leur bien-être ? Comment pourront-elles les convaincre que leur conception du bien et du mal est fausse ? Par quel miracle arriveront-elles à ressusciter en eux l'enfance avec toute l'insouciance et la désinvolture que cela suppose ? “Pour l'instant, nous nous contentons d'être à leur écoute”, confie Mme Bengriouche, responsable du service d'aide psychologique. Face à l'ampleur de la tâche, la direction de l'aide sociale de la wilaya de Sétif a envoyé d'autres psychologues en renfort à la Cité de l'enfance. Des médecins ont, par ailleurs, été dépêchés. Une équipe est spécialement venue pour vacciner les plus jeunes. À chaque enfant est délivré un carnet de santé, une première empreinte d'existence civile sans toutefois la notification d'une quelconque date de naissance ou de filiation parentale. Les naissances sont présumées et le nom du père depuis longtemps remplacé par un patronyme sans trace dans l'état civil. “C'est grâce à des proches, qui ont accouru au centre pour s'enquérir de l'état des enfants, que nous avons pu établir leur filiation exacte”, dit un médecin. Premier pas et non des moindres dans la réhabilitation identitaire, cet acte est pourtant insuffisant. Séparés de leurs parents en prison, confiés à d'autres adultes qui s'accoutrent autrement, parlent autrement, ne portent pas d'armes et résident au même endroit, les petits pensionnaires ne savent plus qui ils sont exactement. Cette confusion apparaît dans leurs gribouillis. Certains, comme Abderahmane, dessinent la montagne, et d'autres, comme Bouchra, une maison avec des fenêtres. “Le chemin de la guérison est encore long. C'est incontestable. Mais rien n'est impossible”, dit Mme Bengriouche. Pour cela, elle compte sur l'apport de l'école, mais également sur la réinsertion familiale. “Il est important pour ces enfants de rompre les liens de la communauté où ils étaient et de retourner auprès de leurs proches, de leurs grands-parents par exemple”, soutient-elle. Mais si Mouad retournait à Iragueune (Jijel) ou Bouchra à Aïn Kebira, le regard des autres, leur statut d'“enfants du maquis” les aideront-ils vraiment à devenir des enfants comme les autres ? Ce n'est pas sûr.
S. L.
Cité des enfants
Une cohabitation singulière
À la Cité des enfants cohabitent des pupilles de l'Etat, des adolescents en difficulté, des déficients physiques, des enfants victimes du terrorisme ainsi que des enfants de terroristes désormais. Toute l'Algérie, ses blessures et ses paradoxes, se trouve là, dans cet établissement dépendant du ministère de la Solidarité nationale. Unique dans toute la wilaya de Sétif, il constitue l'ultime recours à une enfance en détresse. Cependant, en dépit de la disponibilité de son personnel, le centre ne peut répondre à la demande. Pour cause : d'une capacité réelle de 120 places, il accueille actuellement 211 locataires. Ne semblant guère souffrir de cette promiscuité, les enfants se mêlent dans la cour et jouent ensemble, sans nul égard au statut des uns et des autres. Cela est une autre histoire, une histoire d'adultes.
S. L.


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