Résumé de la 4e partie n Au lieu de continuer à abattre l'arbre M'ahmed se met à penser aux changements que connaîtrait sa vie s'il prenait possession de l'héritage paternel... M'ahmed se redressa la tête lourde, et le père, levant sa large main, le frappa rudement au visage. Le fils poussa un rugissement sourd et lança un regard haineux et oblique de chat que l'on châtie. Tout autre que le vieux soldat en aurait été effrayé, mais Mohamed se contenta de hausser les épaules ; son fils, contenu du reste par la vue du fusil, le suivit passivement. Il faisait chaud déjà et le vieillard, la tête nue au soleil, exposait aux rayons de l'astre son crâne luisant rasé de frais. M'ahmed regardait ce crâne, fasciné, l'œil fixe, comme attiré par un miroir, et songeait à sa haine et à ses désirs. Puis, tout d'un coup, faisant tournoyer sa hachette en arrière de sa tête, il la planta, d'un seul coup, dans le crâne de son père qui tomba, en poussant un soupir étouffé. Le corbeau poussa un long croassement semblable à un satanique éclat de rire et revint se percher sur l'olivier, comme pour mieux jouir de la scène. Le parricide avait agi sur une sorte d'inconscience. Il se réveilla alors, effrayé de son crime lâche et du bruit fait par l'oiseau, et regarda autour de lui. Personne !... Il saisit le cadavre par les pieds et le tira jusqu'à l'abîme ; il resta là un moment, immobile, examinant et réfléchissant. La hachette fixée dans les os avait empêché le sang de couler; aucune trace rouge sur le sol. Il fit disparaître la traînée laissée par le cadavre sur la terre sèche et poussa le corps qui roula dans le Trou des Ouled Zeïane avec la hachette et le fusil. On entendit le heurtement des armes contre les rocs, puis, ensuite, un grand bruit sourd et profond quand le cadavre arriva au fond de l'abîme. Le corbeau s'envola perpendiculairement, plana un instant, puis regagna les montagnes. Le meurtrier s'en fut dans le ravin des oliviers sauvages où il trouva la hachette paternelle encore enfoncée dans une vieille souche. Il la prit et, vers le soir, après avoir mangé les galettes et les figues contenues dans son bissac, il revint au village. Il feignit le plus grand étonnement quand on lui annonça que son père n'avait pas reparu. «Il l'avait laissé vers le milieu de la journée, disait-il, emportant sa hachette et son fusil pour aller tirer un lapin dans les broussailles de Tikorabine.» Toute la nuit se passa en recherches, auxquelles prirent part tous les habitants du village, car Mohamed Amokran était aimé et estimé de tous, malgré sa rudesse. Les gens des Ouled Zeïane, lassés, revinrent au village, mais les deux fils de Mohamed continuèrent leurs recherches. Après avoir couru tout le jour dans les bois, ils rentrèrent à leur tour et il sembla à tous que le vieux chaouch était bien mort, tombé dans un ravin ou englouti par les sables mouvants de la rivière. Les deux fils ne partagèrent point l'héritage paternel : ils vécurent en commun, et M'ahmed, qui avait mis en sûreté le trésor, objet de sa convoitise, paraissait vivre en bonne intelligence avec Idir. (à suivre...)